Comment être de bons parents ?

Les manières de « bien traiter » un enfant sont nombreuses. Des spécialistes en éducation familiale le montrent à travers l'analyse des trajectoires familiales et du vécu des enfants.

Les familles, les écoles, les associations, les médias, les surfaces commerciales même se disent tous « soucieux » du bien-être des enfants, de leur développement harmonieux. Du moins, ce sont les idéaux véhiculés et prônés par la collectivité vis-à-vis de l'enfant, le plus souvent considéré comme un adulte en construction. Certes, ces idées sont généreuses, elles témoignent d'un progrès considérable dans l'évolution de l'humanité, mais il est bon d'attirer l'attention sur le danger d'une distorsion trop importante entre un idéal élevé (ce qu'il « faudrait faire ») et les pratiques réelles qui émaillent le quotidien. Face à une réalité complexe, l'idéalisation se transforme souvent en culpabilisation, découragement, voire apathie au lieu d'être un moteur dynamique. Combien de parents et d'éducateurs ne manifestent-ils pas leur angoisse, leur désarroi, leur souffrance face à une tâche éducative jugée de plus en plus difficile, ne pouvant plus prendre appui ni sur les traditions antérieures ni sur les certitudes du monde industriel moderne ? On responsabilise de plus en plus les parents mais sans les guider. Face à ces exigences de plus en plus élevées, que faire pour être un bon parent ? Qu'est-ce que « bien traiter » un enfant à l'aube du iiie millénaire ? On ne peut répondre à une telle interrogation par un traité de recettes visant à instrumentaliser, à outiller l'adulte. Cette question renvoie d'abord au regard même que chacun porte sur la personne de l'enfant, de plus en plus considéré comme un véritable partenaire impliqué dans un rapport égalitaire 1.

La bientraitance se concrétise donc à travers les nombreuses interactions impliquant l'enfant. Elle prend naissance dans les relations parent(s)-enfant et se prolonge à travers les relations adulte(s)-enfant(s) au sein d'un contexte sociétal donné.

Sans tomber dans le piège des définitions simplistes - consistant à réduire la bientraitance à la satisfaction des besoins primaires ou à en donner une vision normative -, la notion de bientraitance est liée aux contextes historique et socioculturel : elle est soutenue par les représentations, voire les idéologies concernant la famille et l'enfant, en vigueur dans la société ou dans le groupe familial. Au Moyen Age, les enfants n'avaient aucun statut particulier : considérés comme des adultes en miniature, ils étaient rapidement associés aux activités adultes sans émotion particulière et la mortalité infantile très importante était acceptée avec résignation. Ce n'est qu'à partir du xviiie siècle, et d'abord dans les milieux privilégiés, que le monde de l'enfance se constitue en un groupe spécifique, comme une étape dans le cycle de vie. L'enfant devient dès lors un « bien national », c'est un futur citoyen, futur soldat ou futur ouvrier 2. Cette évolution ne touchera le milieu ouvrier que vers le milieu du xixe siècle.

Ainsi apparaît progressivement la famille dite moderne, dont la fonction affective devient prioritaire. L'avènement de l'ère industrielle va organiser fortement - pour ne pas dire réglementer - la vie de cette famille moderne. L'urbanisation entraînera un contrôle social et religieux sur les familles ouvrières : apparition des écoles de charité, avec mission de moraliser les groupes familiaux. L'amélioration du niveau de vie, les progrès médicaux et le contrôle des naissances vont limiter le nombre d'enfants d'abord dans les familles bourgeoises, mais aussi dans les milieux ouvriers : on aura moins d'enfants mais en bonne santé, mieux éduqués et donc plus investis affectivement. L'enfance a tendance à se refermer sur elle-même : il faut la protéger, la contrôler, la diriger. L'Etat providence se chargera de cette mission médico-éducative à travers maintes institutions, qui auront parfois tendance à se substituer aux fonctions parentales.

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Un mouvement inverse se dessine pourtant depuis plusieurs décennies et plus encore ces vingt dernières années : la montée de l'individualisme entraîne la désinstitutionnalisation notamment du couple alors que le caractère privé de la vie familiale s'accentue. La position de l'enfant s'en trouve fragilisée, lui qui « prenait sens par les gratifications affectives qu'il apportait au couple » 3. Parallèlement, un vaste mouvement de démocratisation reconnaît les droits de chacun, et des enfants en particulier. Leur parole est davantage prise en compte au niveau des collectivités, notamment. Ainsi, les enfants actuels vivent-ils souvent des situations paradoxales : tantôt sollicités à s'exprimer, tantôt « oubliés » dans certaines prises de décision, tantôt adulés, tantôt négligés...