L’espèce humaine est une. Et les études génétiques ont montré sa forte homogénéité : en moyenne, deux humains ne diffèrent que d’un pour mille dans leurs génomes. À quoi sont dues les différences ? Pas simplement aux pressions de l’environnement : la langue, les règles du mariage ou de la parenté, le statut social ou l’héritage économique créent aussi des frontières symboliques entre les groupes contribuant ainsi à produire et façonner le profil génétique des populations. Autrement dit, la culture agit aussi sur l’évolution comme une série d’études récentes l’a mis en évidence.
Le premier aspect de cette influence concerne les règles d’alliances. Dans de nombreuses sociétés, l’alliance est contrôlée par des critères culturels assez stricts : qu’il s’agisse des castes ou de l’appartenance religieuse chez les juifs, les musulmans et les chrétiens. Et les mariages endogamiques conduisent à limiter la variabilité génétique des populations. La langue est un autre critère qui tend à créer une plus grande proximité génétique pour cette raison simple : les mariages sont plus nombreux entre des personnes qui parlent la même langue. Deux populations qui se mélangent par les mariages vont peu à peu se ressembler. Inversement, les populations qui échangent peu entre elles vont progressivement se différencier génétiquement. En Asie centrale, nous avons pu mesurer précisément cette concordance entre proximité linguistique et génétique.
Dans cette région du monde, deux groupes de populations se côtoient : ceux de langue Turk et ceux de langue indo-iranienne. Dans chacune de ces populations, nous avons collecté des données à la fois linguistiques et génétiques. Les résultats montrent l’existence de différences génétiques entre les deux groupes, différences qui s’expliquent par la limitation des mariages entre ces deux groupes. Résultat plus intéressant : cette corrélation entre différences linguistiques et génétiques est indépendante de la géographie. Autrement dit, on préfère se marier avec quelqu’un proche linguistiquement, même s’il est éloigné géographiquement. Conclusion : ici, la langue modèle les différences génétiques entre les populations.
Patrilocalité ou matrilocalité
L’influence désormais démontrée d’une influence de la culture sur la variabilité génétique d’une population renverse ainsi le paradigme classique qui postule que ce sont les différences biologiques qui influent sur les différences culturelles entre groupes humains. Il reste que ces différences sont faibles et à l’échelle de l’Eurasie, les deux groupes d’Asie centrale sont très proches génétiquement, ce qui montre bien que des échanges ont toujours eu lieu entre les populations malgré les « barrières » linguistiques.
En Asie centrale, d’autres facteurs culturels que la langue contribuent à agir sur la variabilité génétique des populations : le système de parenté en est un. Dans les pays d’Asie centrale, la majorité des populations (70 %) sont dites patrilocales. Autrement dit, après le mariage, le couple s’installe dans le village de l’époux et l’épouse migre. Ces migrations des femmes, sur un grand nombre de générations, peuvent se mesurer par la faible différenciation de l’ADN mitochondrial entre populations ADN. Inversement, dans les populations matrilocales, où ce sont les hommes qui migrent dans le village de leur épouse, les différences génétiques entre les populations sont plus fortes sur le chromosome Y (masculin). On retrouve donc ici l’impact d’un facteur culturel, la patri ou matrilocalité sur la diversité génétique des populations. Cette signature génétique des règles du mariage nous a, par ailleurs, permis d’estimer que les populations pygmées d’Afrique centrale étaient régies par des règles matrilocales et ce depuis un assez grand nombre de générations.