Comment les animaux se transmettent leurs savoirs

Mésanges, rats, macaques ou orques apprennent à chasser ou à se procurer de la nourriture en observant et imitant leurs congénères. Et dans certains cas, il semble même qu’il y ait des formes d’enseignement explicites.

Tout a commencé dans les années 1920, à Londres, avec une histoire de mésanges et de bouteilles de lait. à l’époque, des Londoniens découvrent au petit matin que leurs bouteilles de lait déposées devant leur porte ont été décapsulées. Quelques investigations suffisent à démasquer le coupable : de petites mésanges bleues. Les oiseaux ont découvert le moyen de faire sauter la capsule des bouteilles en quelques coups de bec et de se délecter de la crème déposée en surface. Quelques années plus tard, le décapsulage était pratiqué par des mésanges dans plusieurs villes du Sud de l’Angleterre. En 1947, les oiseaux connaissaient le procédé dans presque toute l’Angleterre. Deux chercheurs, James Fisher et Robert Hinde, se sont intéressés au phénomène et ont même pu dresser une carte de la diffusion de l’innovation (1). 1 À l’époque, cette observation isolée n’a pas été prise en compte par les spécialistes de l’intelligence animale. Il était inimaginable que des animaux – qui plus est, de simples oiseaux – puissent posséder deux traits qu’on attribue généralement aux cultures humaines : 1) l’innovation (découvrir la façon d’ouvrir une bouteille) et 2) la transmission de l’innovation au sein d’un groupe.

L’autre événement clé dans la révélation des cultures animales est venu du Japon. En septembre 1953, dans l’île de Koshima (au Sud du Japon), une primatologue amateure a observé une jeune femelle macaque, baptisée Imo, en train de tremper les patates douces dans l’eau de mer avant de les manger. En lavant ses patates, Imo avait compris qu’elle pouvait éliminer le sable resté collé aux légumes. Trois mois plus tard, quelques compagnons et parents d’Imo avaient pris l’habitude eux aussi de laver leurs patates. Et cinq ans plus tard, presque tous les macaques s’étaient convertis. Le primatologue Shunzo Kawamura publia en 1959 un article évoquant pour la première fois l’existence d’une « sous-culture » chez les primates 2.

L’invention des « cultures animales »

Cette découverte des primatologues japonais fut d’abord ignorée en Occident. Il a fallu attendre les observations de Jane Goodall sur les chimpanzés pour que l’on commence à suspecter que les primates étaient capables de comportements jusque-là considérés comme réservés aux humains. J. Goodall fut la première à avoir observé des chimpanzés de Tanzanie, fabriquant et utilisant des baguettes pour « pêcher » des insectes. L’usage de pierres comme marteaux et enclumes pour casser des noix ne fut observé que dans les années 1980 en Côte d’Ivoire et en Guinée. Les chimpanzés disposent donc d’outils, un attribut que l’on croyait le propre de l’homme.

Mais pouvait-on vraiment parler de « culture » animale ? Après tout, on sait depuis toujours que les oiseaux construisent des nids, les castors des barrages et les fourmis des galeries et des chambres. Mais ces réalisations complexes étaient attribuées à des comportements innés (donc des adaptations) et non à des innovations culturelles.