Dans un texte programmatique publié en 1998, Lorraine Daston, une des figures de proue actuelles des sciences studies distingue plusieurs écoles de pensée dans l’histoire des sciences 1. Elle rappelle que la première approche, qu’elle qualifie d’« école philosophique », consista à « mettre en évidence les successions des systèmes métaphysiques et des cadres épistémologique » qui se sont succédé au fil de l’histoire des sciences. L’histoire des sciences était ainsi envisagée « comme une histoire des idées qui ont changé le monde, mais au sens idéaliste du terme, c’est-a dire qui ont changé notre vision du monde ». Les idées étaient le moteur de cette histoire : « Ce sont les idées qui sont les acteurs et ce sont les arguments qui permettent de faire agir les idées. » Les travaux d’Alexandre Koyré, Gaston Bachelard, Karl Popper ou Thomas Kuhn sont représentatifs de cette approche pour laquelle la science est avant tout affaire de théories qui se succèdent, et d’arguments qui s’affrontent. L’histoire des sciences est d’abord à leurs yeux une histoire de la pensée scientifique : c’est une histoire considérée comme un combat d’idées, la science étant perçue comme une sphère autonome
Le développement des sciences studies permet de faire évoluer cette notion. Cette nouvelle façon de faire « emprunte ses questions et ses explications à la sociologie » et « concentre son attention sur les structures sociales dans l’activité scientifique ».
L’influence des déterminations sociales
Envisager la science sous l’angle sociologique, c’est l’immerger dans la société dont elle est issue. Le sociologue américain Robert Merton a montré que la science moderne n’avait été possible que parce qu’elle s’appuyait sur une communauté de savants unis par les même valeurs : le respect d’une morale fondée sur la rigueur et la loyauté, et le souci du bien d’autrui. Par la suite, la sociologie critique va aller plus loin en cherchant à montrer combien les faits scientifiques (en l’occurrence l’identification d’un neuropeptide) sont tributaires de facteurs comme la crédibilité individuelle des chercheurs ou les investissements matériels dans la recherche. C’est ce que montrent notamment Bruno Latour et Steve Woolgar. En 1979, ils mènent une recherche anthropologique sur un laboratoire de neurobiologie, au cours de laquelle ils étudient le travail non pas à travers l’activité scientifique proprement dite, mais en étudiant tout simplement les interactions quotidiennes au sein de l’équipe 2. Bref, le monde de la science n’est pas aussi indifférent aux déterminations sociales qu’on l’avait imaginé.