Comment réguler les crises financières internationales ?

La succession des crises financières internationales de ces dernières années a suscité de nombreux travaux théoriques sur les dispositifs à mettre en place pour les réguler. Pour Michel Aglietta, cette régulation passe par le renforcement des organismes de contrôle et la mise en place d'un prêteur international en dernier ressort.

La crise financiÈre intervenue en Asie au cours de l'année 1997 était-elle inévitable ? Quels sont les dispositifs à mettre en place pour réguler ce type de crise? Pour répondre à ces questions, il importe de souligner d'emblée le caractère systémique des crises financières internationales intervenues au cours de ces dernières années. Comme celles des années 80-90, la crise asiatique n'est pas réductible à une seule cause ; elle est la résultante d'une multiplicité de causes interagissant entre elles.

Dans le cas de la crise asiatique, certaines causes sont profondes, d'autres plus circonstancielles. Les causes profondes sont liées au processus de libéralisation financière engagé dans la plupart des pays de cette région à partir de 1992-93. L'ancien régime de finance des économies asiatiques avait sa logique. L'organisation du crédit était traditionnellement fondée sur une épargne importante des ménages. Cette épargne servait à financer les investissements des entreprises, à l'origine de la forte croissance que ces pays ont connue depuis les années 70. L'Etat exerçait un contrôle quantitatif du crédit. Ce contrôle était suffisamment cohérent pour empêcher que le (sur) endettement des entreprises n'explose. Sous la pression des Etats-Unis et du FMI, les pays ont dû passer brutalement au début des années 90 à une logique de libéralisation. Celle-ci s'est traduite par trois changements importants. Il y a eu d'abord la disparition du contrôle sur le système de crédit, qui a donné toute licence au financement d'activités à rentabilité douteuse : prêts à des entreprises qui accumulaient des capacités de production excédentaires ou prêts nourrissant la spéculation immobilière. Ensuite, les crédits accordés à court terme ont progressé encore plus vite que le total du crédit. Enfin, l'ouverture des frontières aidant, les banques locales ont eu tendance à emprunter en devises étrangères (dollar essentiellement) pour prêter dans leurs monnaies nationales.

Ces banques ont donc combiné trois types de risque :

- un risque de crédit (lié au possible défaut de solvabilité de leurs débiteurs) ;

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- un risque de distorsion d'échéances (les banques empruntaient à court terme pour prêter à long terme et risquaient donc de ne pas voir renouveler leurs propres ressources) ;

- enfin, un risque de change (elles ont emprunté en devises étrangères en pensant que l'Etat était en mesure de garantir la valeur de la monnaie nationale).

Le processus de libéralisation a finalement fait des banques locales le maillon faible du système. La situation était particulièrement inquiétante en Thaïlande où la spéculation immobilière a accompagné le processus de libéralisation. Or, la rentabilité des investissements immobiliers est loin d'être garantie. On sait en effet que ces marchés immobiliers engendrent des bulles spéculatives. L'effondrement des cours détériore les prêts qui ont été faits en contrepartie.

Ces différents changements ont engendré une très forte incertitude sur la situation des banques locales et de leurs prêteurs. Ces banques n'avaient ni l'expérience ni les compétences pour mettre en place des systèmes internes de contrôle des risques. Elles ont continué à ne se préoccuper que de la taille de leur bilan et du volume des crédits. La prise de conscience des risques de fragilisation de toute la structure de dette a été tardive. Il est intéressant d'observer à cet égard que les grandes banques internationales - qui ont pourtant des méthodes sophistiquées d'évaluation du risque - n'aient pas perçu le danger. A la veille de la crise, leurs indicateurs donnaient encore un signal positif.

Une crise systémique

A ces facteurs profonds s'ajoutent des facteurs plus conjoncturels liés à des chocs internes ou externes. Dans le cas asiatique, le choc ne fut pas monétaire mais industriel. Ce fut principalement, à partir de 1996, un ralentissement de la croissance du commerce international. Ce ralentissement concerne les secteurs où les pays asiatiques sont fortement spécialisés : l'électronique, l'automobile et les industries lourdes. Il a eu des effets immédiats. Les entreprises qui avaient pourtant fortement investi afin de gagner des parts de marché à l'exportation on vu leur rentabilité se détériorer. Il en a résulté ensuite un creusement du déficit de la balance des transactions courantes des pays asiatiques et donc de leur endettement.