Dans l'enfer des prisons

Les violences en prison sont des faits suffisamment mal connus pour être régulièrement surestimés ou complètement ignorés. Indépendamment de la personne des condamnés, c'est l'institution avec ses pratiques d'exclusion qui semble devoir endosser une partie de ces faits.

Toutes les études et recherches réalisées sur la violence en prison butent sur un même constat : la difficulté à aller au-delà de la face émergée de l'iceberg et la résistance de la vie carcérale à son dévoilement. Pourtant, la réglementation pénitentiaire française donne obligation de porter à la connaissance des autorités administratives et judiciaires tout « incident grave » intervenant dans les établissements. Mais elle ne définit clairement ni ce qu'est un « incident » ni à partir de quel seuil il peut être qualifié de « grave ». Le Code de procédure pénale précise néanmoins qu'il s'agit de « ce qui porte atteinte à l'ordre, à la discipline ou à la sécurité ». Comment ces faits sont-ils connus ?

Dans son rapport annuel, l'administration pénitentiaire classe et comptabilise les différentes formes de violence relevées dans la rubrique « incidents collectifs et individuels ». Ces données mesurent le nombre de rapports d'incidents, et non celui des faits proprement dits. Le personnel pénitentiaire n'en déclare qu'une partie par peur des représailles, par crainte de ne pas être soutenu par la hiérarchie, ou encore pour préserver les relations avec les détenus. Au bilan, plus de 80 % des surveillants disent ne faire que rarement des rapports d'incidents. Selon la sociologue Antoinette Chauvenet, « cette pratique d'abstention relative est cohérente avec le fondement interpersonnel des relations avec les détenus sur lequel les surveillants construisent leur autorité légitime et gagnent la coopération des détenus1». L'encadrement et la direction de l'établissement peuvent former un second filtre et classer « sans suite » le rapport. Cependant, il y a des incidents plus rétifs que d'autres à l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire.

La nomenclature officielle caractérisant les faits de violence comprend les suicides et les tentatives, les automutilations et les grèves de la faim, les agressions, les tentatives d'évasion et les mouvements collectifs en détention (du moins grave comme le refus de s'alimenter aux plus graves comme la mutinerie et la prise d'otage).

Qu'en est-il actuellement dans les prisons françaises ? On constate, d'abord, que le nombre de suicides et de tentatives augmente depuis 1990. Nicolas Bourgoin 2, auteur d'une étude sur le sujet, relève 621 décès par suicide entre 1982 et 1991. Le profil type du suicidant est un jeune homme adulte (50 % des suicidés ont entre 25 et 39 ans), célibataire et sans enfant (64 %). On calcule que, pour cette classe d'âge, la sursuicidalité carcérale corrigée en prenant en compte la sous-déclaration en milieu libre, est égale à 4. La mort est obtenue par pendaison dans 92 % des cas, et par section veineuse ou artérielle dans 3 %. Ces suicides réussis ont souvent été précédés de tentatives ou d'automutilations.

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Les automutilations sont très fréquentes en détention, quoiqu'elles apparaissent en régression. Ce sont surtout des phlébotomies (90 %), des ingestions de corps étrangers (5 %) et ingestions de produits toxiques (2 %). Les motifs invoqués par leurs auteurs sont souvent les ruptures familiales (18 %), la souffrance liée à la détention (17 %) ou bien encore en rapport avec le climat relationnel de la détention (15 %) 3.

Les grèves de la faim sont en diminution depuis les années 80. Elles obéissent à l'intention de faire pression sur l'autorité judiciaire ou pénitentiaire : le gréviste se proclame innocent, n'admet pas la lenteur de la procédure, trouve sa condamnation trop lourde, ou bien réclame son transfert, ou encore dénonce les conditions de détention.