David Thoreau (1817/1862) - Qu'est-ce que le perfectionnisme moral ?

Défenseur de l’idée de désobéissance civile, David Thoreau porte une forte exigence morale et un farouche attachement à la liberté. Son perfectionnisme moral offre en négatif une féroce critique du conformisme et de la soumission.

Peut-on compter sur soi-même et comment ? Henry David Thoreau, le jour où il s’installe au bord du lac de Walden – un 4 juillet, anniversaire de l’Indépendance américaine –, déclare par là son indépendance morale et intellectuelle, et décide qu’il construira sa maison de ses mains. Au bout de deux ans, Thoreau retourne à la civilisation, mais l’esprit de Walden vit toujours : liberté, autonomie, ou plutôt confiance en soi (self-reliance), principe de Ralph W. Emerson, son maître : l’exigence d’aller toujours plus loin, hors de soi, que l’on appelle aussi perfectionnisme moral. Reste à savoir en quoi il consiste.

Il ne s’agit pas de consolider ni d’atteindre un soi préexistant. Car le soi n’existe pas préalablement à la confiance. C’est le sens de la perfectibilité, qui n’est pas à comprendre au sens téléologique d’une amélioration de l’humain, mais que l’on peut réinscrire dans la thématique antique du souci de soi, développée par Pierre Hadot, lui-même grand lecteur de Thoreau. Un tel souci ne suppose pas un soi prédonné qu’il faudrait idéalement tenter de rejoindre, pas plus que la visée d’un état final « parfait » qui serait alors le même pour tous. Le perfectionnisme n’a rien d’une métaphysique : c’est une façon de vivre. Ce qui rend difficile la compréhension du perfectionnisme, c’est ce que Stanley Cavell nomme, dans Qu’est-ce que la philosophie américaine ?, « les versions fausses ou dégradées du perfectionnisme », l’injonction creuse à « devenir soi-même » ou à trouver « son meilleur moi ». Rien de tout cela n’existe préalablement à notre volonté de devenir et à ce que nous faisons pour cela.