Gengis Khan, à l’instar de Muhammad, a changé les destins du Monde. Né ≈ 1160, dépossédé de son héritage et relégué aux marges de sa société, ce fils de chef d’un clan mongol parvient à unifier sa tribu, à soumettre et intégrer les confédérations voisines, enfin à poser les bases de l’État le plus expansionniste de l’histoire. Un demi-siècle après sa mort en 1227, ses petits-fils dominent une étendue démesurée, de la Corée à l’Ukraine.
Une vague de succès militaires
Empires des Jin, des Kara-Khitan, du Khwarezm, puis des Song du Sud, califat abbasside et chevaliers teutoniques… Perfectionnant les tactiques de combat équestre utilisées depuis près de deux millénaires par les peuples des steppes, les Mongols transforment la guerre en entreprise transnationale. Leurs victoires sont dues à la combinaison de plusieurs facteurs : une discipline hors du commun ; la mobilité des cavaliers – le contournement des armées adverses permettant de piller leurs bases et de rompre leur logistique, entraînant leur déroute – ; la terreur, qui repose en partie sur une stratégie consistant à rafler toutes les populations rurales qu’ils peuvent capturer, les traitant selon les méthodes utilisées pour rassembler le bétail, et à les envoyer se faire massacrer à l’assaut de leurs compatriotes retranchés derrière les remparts des cités. Les Mongols remportent la quasi-totalité des batailles qu’ils livrent au 13e siècle, hormis quelques défaites marginales qui ponctuent leur expansion, au Japon, en Indonésie, en Palestine ou en Inde.
Une des victoires mongoles les plus connues, à la rivière Kalka (auj. en Ukraine), en 1223, fournit un exemple de scénario tactique : les généraux Djebé et Subötaï, envoyés en explorateurs de futurs territoires à conquérir, se heurtent à une coalition supérieure à leurs forces. Volte-face. Plusieurs jours durant, ils esquivent les attaques des divers princes rus et coumans et les conduisent à éparpiller leurs forces. Une fois isolée, la chevalerie lourde à l’européenne est décimée par des volées de projectiles sans jamais obtenir le choc frontal pour lequel elle est conçue. Vient le tour des fantassins, des piquiers équipés pour affronter des charges de cavalerie lourde, qui demeurent un temps stoïques sous les pluies de flèches, puis se débandent et se font massacrer.
Dévastation et artillerie
L’impact mongol est terrible en termes environnementaux. Gengis Khan ne réalise que sur le tard qu’un paysan est un producteur de richesse. Sa politique consiste à dévaster irrémédiablement les terres cultivées, leurs infrastructures d’irrigation, les villes. Il veut transformer les pays conquis en pâturages, qui permettront, à la prochaine incursion, de revigorer les chevaux et de pousser plus loin. La première phase des conquêtes mongoles transforme irrémédiablement les étendues fertiles du Nord de la Chine et d’une bonne partie de l’Asie centrale en steppes. Ögödei, troisième fils et héritier de Gengis Khan, bâtit une administration efficace, à même de gérer un empire. Sa mort en 1241 interrompt l’invasion de l’Europe, lancée cette même année par les batailles de Legnica et Mohi, où sont écrasées les armées polonaise, allemande, teutonique et hongroise. Sous le règne de Möngke (1250-1259) se prolonge la guerre contre les Song du Sud, qui résistent jusqu’en 1279. À l’ouest, une offensive menée par Hülegü Khan s’empare de Bagdad en 1258. Le dernier calife abbasside se serait vu offrir par ses vainqueurs bouddhistes et chamanistes une mort honorable, enroulé dans un tapis et piétiné par des chevaux, pour éviter de répandre son sang.
Le monde musulman, pivot de l’Eufrasie, au carrefour des civilisations chinoise, indienne et européenne, vacille. Le sunnisme pourrait s’effondrer… Le partage du gâteau impérial entre descendants de Gengis Khan le sauve. Au khanat de Kiptchak (Horde d’or) échoient la Russie et l’Asie centrale ; le khanat de Djaghataï regroupe l’Afghanistan et la Mongolie ; Kubilai Khan reçoit la Chine du Nord, à laquelle il adjoint la Chine du Sud après avoir achevé les Song, puis fonde la dynastie Yuan (1279-1368) ; et la dynastie des Ilkhans, fondée par Hülegü, se convertit à l’islam pour mieux administrer Perse et Irak. L’Empire est donc scindé en quatre parties, dont trois supposément soumises à la lointaine autorité du khan de Chine. Leurs dirigeants vont se quereller jusqu’à la désintégration de l’édifice impérial mongol, consommée ≈ 1420.
Le plus important facteur de succès des Mongols réside dans leur capacité à intégrer systématiquement les innovations militaires des peuples conquis, amenant un brassage sans précédent de savoir-faire léthaux. L’artillerie en offre un exemple : c’est en rassemblant des équipes d’ingénieurs qualifiés venus de Chine, de Perse et d’Europe, combinant les lance-flammes musulmans, la poudre chinoise et la technologie de fonte des cloches européennes, qu’ils produisent ≈ 1290 les bouches à feu, ancêtres des mortiers et des fusils. Les premiers canons, de conception rigoureusement identique, apparaissent dans des manuscrits florentin et chinois des années 1320. Au 15e siècle, le jeune État expansionniste des Turcs ottomans devient exportateur de ce type d’armes, dont il fait usage au siège de Constantinople. La chute de l’Empire byzantin, en 1453, bouleverse les équilibres géopolitiques, poussant notamment les États européens à lorgner vers d’autres horizons.