Des intellectuelles de choc

Hussardes noires : des enseignantes à l’avant-garde des luttes. De l’affaire Dreyfus à la Grande Guerre, Mélanie Fabre, 2024, Agone, 432 p., 23 €.

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Pauline Kergomard, première femme inspectrice générale des écoles maternelles et grande innovatrice dans ce domaine ; Jeanne Desparmet-Ruello, première directrice d’un lycée de jeunes filles et fondatrice de l’Université populaire de Lyon ; Albertine Eidenschenk, militante pacifiste (qui avait perdu un fils lors de la Grande Guerre) et bien d’autres encore… En mettant la question scolaire au premier plan, la IIIe République a été un terreau propice d’où ont émergé de grandes intellectuelles dans le domaine éducatif que, une fois de plus, l’historiographie a complètement ignorées. Était-ce, se demande Mélanie Fabre, parce que l’expression « hussardes noires » paraissait incompatible avec « l’image d’Épinal des institutrices, douces et dévouées » ?

Combattantes dans la construction de la laïcité, beaucoup s’engagèrent, lors de l’affaire Dreyfus et au-delà, faisant entendre leur voix dans les salles de classe, les universités populaires, les revues et sur les estrades. Le pacifisme fut aussi un de leurs combats, en rupture avec le bellicisme professé dans les écoles par leurs collègues masculins. Même si elles accèdent à des postes de haut niveau – certaines sortaient de l’École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses –, elles doivent cependant se protéger des foudres d’une hiérarchie encore entièrement masculine et très conservatrice, en se créant des appuis politiques, souvent au sein de la gauche. Sans être pour la plupart des féministes militantes, ces intellectuelles ont pourtant participé d’une « remise en question du modèle patriarcal », souligne l’autrice, soulignant, dans cette étude bien documentée, un des plus étonnants paradoxes de la IIIe République qui a fait de ces pionnières d’essentielles actrices de la cause républicaine sans leur accorder la citoyenneté politique.