Développement durable et sciences sociales

Forgée dans le cadre de grandes organisations internationales, la notion de développement durable s'est rapidement diffusée dans les sciences sociales. Ce faisant, elle a relancé d'intenses débats sur les rapports entre société, économie et environnement.

Comment renouer avec la croissance de façon à faire reculer les inégalités et la pauvreté sans détériorer l'environnement légué aux générations futures ? Telle est, en substance, la question en forme de dilemme que l'Assemblée générale des Nations unies a soumise en 1983 à Gro Harlem Brundtland, alors Premier ministre norvégien, en lui confiant la présidence d'une Commission mondiale sur l'environnement et le développement composée de spécialistes et d'anciens hauts fonctionnaires de l'ONU.

Remise quatre ans plus tard, au terme d'une succession d'audiences à travers le monde et d'un inventaire des problèmes susceptibles de menacer la planète, la réponse 1 tint en deux mots : sustainable development (soit développement durable ou, selon les traductions : soutenable, ou encore viable...)

Depuis, la formule a connu un succès sans précédent, reléguant au second plan la notion d'éco-développement apparue dans les années 70. Les organisations internationales (l'OCDE, l'Unesco...) l'adoptèrent sur le champ, de même que les consultants et les développeurs en quête de financements internationaux... Parallèlement, de nombreux Etats se dotèrent de commissions ou de forums destinés à dégager des solutions concrètes et à faciliter la coopération entre les pays. Une Commission française du développement durable vit ainsi le jour en 1996, sous l'égide du ministère de l'Environnement. Déclinée, cette notion a inspiré les thèmes de la « politique urbaine durable », d'« habitat durable », de « tourisme durable », etc.

Pourquoi un tel succès ?

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Du rapport à la conférence de Rio

Les experts des organisations internationales n'avaient pas attendu le rapport Brundtland pour user de la notion de développement durable. Dès 1980, une étude menée sous les auspices de l'UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) se penche sur la « conservation des ressources vivantes en vue d'un développement durable ».

L'idée même de soutenabilité est encore plus ancienne. Dans son Essai sur le principe de la population (1798), Malthus s'inquiète déjà de la « soutenabilité » de l'environnement au regard du renouvellement des espèces. De fait, la référence à Malthus n'est pas totalement absente dans le rapport Brundtland, qui considère que « le développement soutenable n'est possible que si l'évolution démographique s'accorde avec le potentiel productif de l'écosystème ».

Quoi qu'il en soit, c'est le rapport Brundtland et ses prolongements immédiats (le Sommet de la terre en 1992 à Rio) qui contribuèrent à populariser la notion de développement durable aussi bien auprès des grandes organisations internationales, des ONG, des développeurs, qu'au sein de la communauté scientifique.

Victime de son succès, la formule n'a pas manqué de susciter d'innombrables tentatives de définition. Dès 1989, on en recensait une soixantaine 2. Au sens du rapport Brundtland, « le développement soutenable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».

L'idée d'envisager ensemble le développement et l'environnement n'est pas nouvelle non plus. Elle est formulée pour la première fois dans le célèbre rapport de Dennis Meadows (The Limits to Growth) publié par le Club de Rome, en 72, à travers la notion d'éco-développement.

La rupture introduite par la rapport Brundtland est ailleurs : dans la tentative de concilier croissance et environnement. Selon le rapport Meadows, la solution à l'utilisation intensive des ressources épuisables réside dans la limitation de la croissance quelle qu'elle soit : démographique ou économique (thème de la croissance zéro).

Si le rapport Brundtland s'inquiète de la croissance démographique, il n'exclut pas la poursuite de la croissance économique. Même si, dans l'esprit de ses auteurs, c'est une croissance qualitative plus que quantitative qu'il s'agit de privilégier. Aussi parle-t-on parfois de croissance durable ou soutenable : c'est le cas de rapports de l'OCDE, de l'Union européenne, du Commissariat général du plan français ou encore du traité de Maastricht...

Il est vrai que le contexte social et économique des pays développés a changé : nombre de pays développés sont désormais confrontés à un chômage de masse combiné à un ralentissement de ladite croissance. Dans le même temps, l'idée que les pays en développement ont également droit à la croissance a fait son chemin.

La notion de développement soutenable implique certes des limites en matière de croissance. Mais, précise le rapport, « il ne s'agit (pas) de limites absolues mais celles qu'impose l'état actuel de nos techniques et de l'organisation sociale, ainsi que de la capacité de la biosphère de supporter les effets de l'activité humaine ». Rien n'empêche, poursuit le rapport, « d'améliorer nos techniques et notre organisation sociale de manière à ouvrir la voie à une nouvelle ère de croissance économique ».

Organisé à Rio, en 1992, soit vingt ans après la première conférence internationale sur l'environnement (conférence de Stockholm), le Sommet de la terre officialisa en quelque sorte l'usage de la notion. Jusqu'à la tenue du second sommet de la terre (New York, 1997), une succession de conférences internationales (sur le développement social, les changements climatiques, la ville...) contribuèrent à sa diffusion.

L'apport des sciences sociales

Bien qu'elle ait été élaborée dans le cadre de grandes organisations internationales, la notion de développement durable n'a pas laissé indifférente la communauté scientifique. Faut-il le rappeler ? De nombreux chercheurs et universitaires ont participé et continuent de participer aux programmes lancés par les organisations internationales ainsi qu'aux conférences organisées à la suite du premier Sommet de la terre. Ce faisant, ils contribuent à la diffusion de cette notion dans leur discipline respective en même temps qu'à la promotion d'une démarche interdisciplinaire, jugée plus adaptée à l'approche globale sous-tendue par le projet de développement durable.