Dieu peut-il faire l'élection ?

Aux États-Unis, les candidats à la présidence se doivent d’afficher leur foi, garante de leur morale. Ce constat s’explique par l’histoire de ce pays.

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L’omniprésence du religieux dans la vie politique états-unienne, accrue pendant les longues campagnes électorales, peut surprendre, voire sembler incongrue à l’observateur français. C’est que si le premier amendement à la Constitution interdit à l’État de favoriser une Église en particulier et garantit le « libre exercice » de leur foi aux citoyens américains, il n’a pas pour fonction de séparer le politique du religieux, ni de tenir l’espace public à l’écart de toute manifestation du religieux.

Aux États-Unis, il semble difficile sinon impossible d’être élu à la présidence ou au Congrès sans faire preuve d’une religiosité ostentatoire, considérée comme preuve de moralité. En effet, pour 53 % des Américains (contre 15 % des Français), l’éthique est conditionnée par la croyance. Si la foi d’un candidat est sincère mais discrète, s’il considère que c’est une affaire privée entre lui et son Dieu, son élection sera difficile. La candidature d’un non-croyant ne serait probablement même pas envisageable : un sondage récent nous apprend que 40 % des Américains déclarent qu’ils ne voteront jamais pour un candidat athée. Certains États interdisent d’ailleurs aux athées d’occuper des fonctions politiques – ce qui est parfaitement contraire à la Constitution, qui interdit les discriminations religieuses.

Ainsi, le catholique John Kerry en 2004, mais aussi l’orthodoxe Michael Dukakis en 1988 ou le presbytérien Walter Mondale en 1984 pâtirent de leur refus d’instrumentaliser la foi à des fins électoralistes. Il serait cependant erroné de considérer que les démocrates sont victimes d’un système qui avantage les théocrates républicains. En effet, John McCain, George Bush père ou plus récemment Mitt Romney, tous républicains, ont dû forcer leur nature pour parler de leur foi ou la mettre en scène, au contraire des démocrates Jimmy Carter, le premier président born again*, élu en 1976, ou de Bill Clinton, baptiste* du Sud comme J. Carter et à qui l’électorat n’a jamais tenu rigueur de ses écarts. Plus récemment, Barack Obama, le premier président non évangélique* depuis G. Bush père, a plaidé pour une réconciliation des démocrates avec une religiosité décomplexée, qui ne doit pas, selon lui, être le monopole de la droite.

Au début de la guerre froide, un autre démocrate, Harry Truman, baptiste très croyant, postulait que les États-Unis se distinguaient de l’URSS et de ses satellites, athées et matérialistes, par leur religiosité, condition sine qua non à ses yeux de la liberté et de la démocratie. Son successeur, le républicain Dwight D. Eisenhower, déclara notamment que « notre gouvernement n’a de sens que s’il repose sur une foi profonde – peu importe laquelle ». C’est pendant la présidence de D.D. Eisenhower (1952-1960) qu’une véritable religion civile*, œcuménique et générique (protestante, catholique et juive) fut mise en place par voie législative, qui devait agir comme ciment identitaire et comme arme culturelle contre les puissances communistes. Ainsi, la devise nationale – laïque – formulée par les Pères fondateurs* et inspirée par les Lumières, « E pluribus unum », de la diversité à l’unité, fut remplacée par « In God We Trust ». L’idée d’un creuset identitaire où se fondent les immigrants de toutes origines en une seule et même nation était supplantée par l’expression de la fidélité à Dieu et à sa providence. De même, dans le serment d’allégeance, récité tous les matins par les écoliers du pays, « one nation » fut complété par « one nation under God ». Dans ce dispositif, le président apparaissait comme une sorte de « pasteur-en-chef » de la nation.

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Un héritage antipapiste

Pourtant, loin d’être une histoire apaisée de la diversité et du pluralisme, l’histoire religieuse des États-Unis a longtemps été marquée au fer de l’intolérance, de l’antipapisme virulent de la majorité protestante. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, le catholicisme est associé d’abord à l’Espagne puis à la France de Louis XIV. Il est synonyme d’autoritarisme et d’obscurantisme et sert de repoussoir dans la création d’une identité britannique puis américaine, associant protestantisme, liberté et modernité. Au cours des guerres impériales du XVIIIe siècle, l’ennemi français, catholique et bourbon, est systématiquement comparé à la Bête de l’Apocalypse. L’Amérique protestante, qui triomphe des forces de l’Antéchrist français lors de la guerre de Sept Ans (1756-1763), se voit volontiers comme protégée par Dieu, comme un nouvel Israël, une construction identitaire héritée des puritains de Nouvelle-Angleterre du siècle précédent, finalement étendue à l’ensemble des colonies ensuite révoltées contre la métropole britannique – paradoxalement aussi comparée à l’Antéchrist pour les besoins de la cause.