Dissiper le brouillard des radicalités

Marginales, clandestines ou violentes, les radicalités politiques sont réputées potentiellement dangereuses pour l’ordre démocratique. Mais entre un black bloc, un indépendantiste corse et un jihadiste, trouver un dénominateur commun se révèle au mieux ardu, au pire caricatural.

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Qu’ils soient anarchistes, survivalistes, frontistes, antispécistes ou encore jihadistes, les « radicaux » semblent tous frappés du même sceau : celui de l’infréquentabilité politique. À une époque où la recherche de l’apaisement et du « juste milieu » cher à François Guizot s’est imposée dans les démocraties libérales, le radical fait figure de mauvaise graine. Potentiellement outrancier et violent, cet enfant terrible ne respecte pas les bonnes manières du jeu démocratique, et, partant, n’est pas digne de s’asseoir à sa table.

Mais, à bien y regarder, l’étiquette « radical » est-elle autre chose qu’une aubaine rhétorique ? Qu’un lieu commun du débat public, moins utile pour qualifier que pour disqualifier les actions et idées politiques qui en sont la cible ? Interchangeable avec les adjectifs « extrême » ou « ultra » – qui, du reste, renvoient étymologiquement à des sens équivalents –, elle désigne en réalité une multitude de pratiques et de croyances : collectives ou individuelles, de droite ou de gauche, religieuses ou politiques, terroristes ou pacifiques, clandestines ou ostensibles… En 1994, le politiste Pierre-André Taguieff évoquait déjà l’« intention polémique » de l’expression « extrême droite » qu’il tentait de définir. L’auteur s’en était alors sorti par une pirouette ; selon lui, l’« extrême droite » devait correspondre aux « phénomènes politiques et idéologiques qu’il est convenable, selon (…) les libéraux, les sociaux-démocrates et les communistes, de stigmatiser et de condamner  1 ». Difficile de faire plus large.

Une attitude de rupture

En dépit des difficultés, une définition de la radicalité, de l’extrémisme et de ses dérivés (fondamentalisme, terrorisme, etc.) semble globalement partagée dans le champ universitaire. Elle met l’accent sur l’attitude de rupture vis-à-vis de la société d’appartenance qu’implique tout engagement radical. Une telle disposition individuelle ouvrirait la voie, selon la sociologue Isabelle Sommier, à « des formes non conventionnelles d’action politique 2 ». Elle est en cela rejointe par d’autres auteurs comme Anne Muxel et Olivier Galland, pour qui la radicalité politique se traduit par une large gamme d’actes et de comportements « marquant une volonté de rupture avec le système politique, social et culturel, et plus largement avec les normes et les mœurs en vigueur dans la société 3 ».

Pourtant, la « rupture » est un thème plutôt valorisé en politique. François Mitterrand, lors du congrès d’Épinay de 1971, exhortait ses camarades à consentir à la « rupture avec l’ordre établi [et] avec la société capitaliste », faute de quoi, ces derniers n’auraient pas leur place au sein du Parti socialiste ; plus récemment, Emmanuel Macron posait les jalons de son programme présidentiel dans un livre intitulé Révolution (2016)… Ces deux personnalités politiques, bien qu’elles aient encouragé une forme de transgression avant d’accéder à la plus haute fonction de l’État, ne semblent ni l’une ni l’autre correspondre à l’image que l’on se fait d’un « extrémiste ». Et pour cause : les projets politiques qu’ils incarnent s’inscrivent en effet dans une démarche électorale respectueuse des institutions.