Du bon usage des fictions en histoire Entretien avec Ivan Jablonka

L’histoire n’est pas un roman, mais une enquête. Pour autant, selon Ivan Jablonka, elle assimile des fictions et peut devenir littérature.

Vous avez écrit deux ouvrages en dialogue. D’abord un essai de biographie familiale, Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus ; puis une analyse de l’écriture de l’histoire et des sciences sociales, L’histoire est une littérature contemporaine. Pouvez-vous résumer la démarche qui a sous-tendu cette aventure éditoriale ?

Mon Histoire des grands-parents provient d’une quête d’enfant, que j’ai mise en œuvre quand je suis devenu historien. Mais je ne voulais pas que mon livre soit lu seulement comme le témoignage émouvant d’un petit-fils parti sur les traces de ses grands-parents. Je propose aussi une autre manière de faire de l’histoire – enquête, rencontres, voyages, postdisciplinarité, jeu passé-présent, écriture. Pour mettre au clair ce que j’avais tenté de faire, j’ai rédigé une explicitation méthodologique, un second livre, une sorte de discours de la méthode.

Je l’ai écrit pour répondre à un sentiment aigu que j’éprouve, celui d’une crise des sciences sociales. Cette crise est multiforme : frappant l’université, l’édition, la librairie, elle menace d’expulser les sciences sociales de la cité. La réponse ne peut être que collective. Nous, chercheurs, pouvons offrir de nouveaux objets intellectuels, de nouvelles manières d’écrire les sciences sociales. Plus originales, plus justes, plus honnêtes, plus réflexives.

 

Vos grands-parents sont des anonymes broyés par la Shoah, parmi des millions d’autres. Comment l’historien que vous êtes peut-il retracer la vie de ces gens qui seraient restés de parfaits inconnus s’ils ne vous avaient eu pour descendant ?