Du côté de chez Proust

S’enrichir grâce à Proust ? C’est le pari d’Illiers-Combray, en Eure-et-Loir. Musée et reconstitutions, restaurants proustiens, fêtes costumées… : la commune exploite l’écrivain comme une marque territoriale. Et ça marche.

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Ce vendredi, en janvier dernier, quelques dizaines de personnes affluent pour l’inauguration du musée Marcel-Proust éphémère à Illiers-Combray (Eure-et-Loir). Au rez-de-chaussée de la villa Chapet, une élégante maison du 19e siècle, on croise le pharmacien, la dame du tabac-presse, le principal du collège Marcel-Proust, le patron du restaurant La Madeleine d’Illiers, le maire, le député du coin et des visiteurs venus pour l’occasion de Paris. Directeur du musée du Quai-Branly-Jacques Chirac, au pied de la tour Eiffel, Jérôme Bastianelli préside à ses heures la Société des amis de Marcel Proust et de Combray (SAMPC). À la tête de cette association d’érudits, le haut fonctionnaire fait les honneurs des salles tout juste ouvertes. Les invités contemplent les portraits de Marcel Proust (1871-1922) et de sa famille paternelle, originaire de la localité. C’est là, entre Beauce et Perche, à une vingtaine de kilomètres de Chartres, que le jeune Marcel passait ses vacances jusqu’à l’âge de 7 ou 8 ans. Les impressions vivaces laissées par la petite ville ont ensuite inspiré à l’écrivain le début de sa monumentale Recherche du temps perdu (1913-1927). Réciproquement, Proust est devenu pour son village d’enfance un repère et une ressource. Dans l’œuvre, Illiers devient Combray. Dans la vraie vie, en 1971, la commune choisit de se rebaptiser Illiers-Combray. En 2022, un siècle après sa mort, le bourg de 3 300 habitants semble parfois vivre dans l’ombre portée du grand auteur. Attachement mémoriel ou souci d’attractivité touristique ? Illiers-Combray offre un cas exemplaire des forces qui façonnent aujourd’hui les villages français marqués par la désindustrialisation. « Le tourisme, tourné vers une clientèle nationale et étrangère, constitue, à côté de la grande distribution et de la logistique, un autre pilier majeur du modèle économique de la France d’après », observent le politologue Jérôme Fourquet et le journaliste Jean-Laurent Cassely dans La France sous nos yeux. Appauvri par la fermeture de ses usines (textile, métallurgie) dans les années 1970, affligé d’un taux de chômage de 13 % et par le vieillissement de sa population, le bourg eurélien compte sur ces différents piliers, à commencer par « la mise en tourisme » 1. On a parcouru un « territoire consommé et sublimé » 2, en l’occurrence grâce au souvenir de Marcel Proust et de La Recherche du temps perdu.