Les Champs-Élysées : luxe, luttes et liesse

Plus fréquentés que jamais, les Champs-Élysées se préparent à accueillir l’été prochain la cérémonie d’ouverture des Jeux paralympiques. Mais « la plus belle avenue du monde » donne aussi à voir les fractures sociales françaises.

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«Ce matin, c’est calme, mais l’après-midi, il vient toujours du monde », confie Franck, léger accent antillais. Emmitouflé, le quinquagénaire tient la caisse d’un kiosque, un des trois que compte l’avenue des Champs-Élysées. Les journaux ont été disposés à l’arrière ; la devanture est entièrement occupée par les souvenirs de pacotille (sacoches imprimées à l’effigie de la Joconde, magnets « I love Paris »). Sur le terre-plein central des Champs-Élysées, dans le bruit et les émanations toxiques de la circulation, une jeune femme en anorak prend la pose pour une photo ; un homme en pardessus gris accorde une interview filmée en webcam sur fond d’Arc de triomphe. D’après le baromètre établi par le spécialiste de l’immobilier professionnel Cushman & Wakefield 1, un des leaders mondiaux de l’immobilier professionnel, « la plus belle avenue du monde » a dépassé l’été dernier sa fréquentation d’avant la pandémie de covid. Avec un million de passants par mois, dont trois quarts de touristes, les Champs n’ont jamais été aussi prisés. Vitrine, c’est sûr, mais de quoi ?

Dans La Plus Belle Avenue du monde (lire p. 10), l’historienne Ludivine Bantigny explore les paradoxes d’un axe qui juxtapose grand spectacle, commerce, pouvoir politique et économique et luttes sociales. Ce que le géographe Michel Lussault appelle de son côté un « hyperlieu planétaire », caractérisé par le « surcumul de réalités spatiales, matérielles et immatérielles variées : personnes, objets, flux, données numériques, richesses capitalisées, production de valeur ajoutée » 2. Longs de deux kilomètres à peine, les Champs-Élysées aimantent les capitaux et les fantasmes autant qu’ils attirent les foules.

Capitaux et fantasmes

Ouvert aux courants d’air, le kiosque tenu par Franck occupe un point névralgique. À l’angle formé par les Champs-Élysées et l’avenue GeorgeV, la modeste guérite fabriquée par JC Decaux fait face à la boutique géante (« flagship store ») de la marque mondiale Louis-Vuitton, en voie d’agrandissement. Soucieux de prestige culturel, le maroquinier abrite sa propre galerie d’art contemporain. Quelques mètres de trottoir séparent Franck de l’auvent rouge du célèbre Fouquet’s, la brasserie du Tout-Paris. C’est là que Nicolas Sarkozy a fêté sa victoire à l’élection présidentielle le 6 mai 2007, marquant son mandat tout neuf d’un style qu’on appellera « bling-bling » 3. Éditorialistes, présidents d’instituts de sondage, patrons de grandes entreprises, responsables politiques, designers, stars du cinéma et de la chanson s’y retrouvent ce soir-là, incarnant ce que les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot appellent une « oligarchie » 4.