Écologie : de l'âge économique à l'âge social

Parce que les problèmes environnementaux affectent avant tout les plus démunis, la « nouvelle écologie politique » cherche à rendre explicite le lien entre écologie et inégalités, entre question sociale et impératif écologique.

Tout indique que nous sommes entrés dans le troisième âge, économique, de l’écologie. Dans la période contemporaine, la préoccupation environnementale s’est d’abord cristallisée dans un âge mystique, de la publication de Nature en 1836 par le philosophe et essayiste Ralph Waldo Emerson jusqu’au combat de John Muir, épaulé par Théodore Roosevelt, pour la création des premiers parcs nationaux aux États-Unis dans le cadre du mouvement « conservationiste » dont les racines étaient européennes. Le deuxième âge de l’écologie, l’âge civique, se développa également aux États-Unis, à partir de la publication de Silent Spring par Rachel Carson en 1962, pamphlet contre l’usage du DDT, interdit dix ans plus tard sur le territoire américain. L’avènement de l’âge économique de l’écologie peut être situé au début des années 1990, lorsque les gouvernements des pays développés ont réalisé qu’ils devraient réduire leurs émissions de gaz à effet de serre pour contrer la menace du changement climatique. Ce nouvel âge a culminé à l’automne 2008, dans le contexte de la crise globale, avec la publication du livre de Van Jones, The Green-Collar Economy, et du rapport conjoint de l’UNEP (United Nations Environment Program) et du BIT (Bureau international du travail) sur les « emplois verts » (« Green jobs: Towards decent work in a sustainable low-carbon world »).

 

Décroissance ou écologie de marché ?

Dans cet âge économique de l’écologie s’affrontent en surface deux thèses également stériles : la décroissance et l’écologie de marché. La première interroge à raison la passion de la croissance des sociétés riches mais rejette les fondements libéraux de l’économie de marché. Elle néglige dès lors la puissance du système de prix, instrument efficace s’il en est pour orienter les comportements individuels à condition qu’il soit piloté par la puissance publique. Plus préoccupant, la décroissance fait l’impasse sur l’économie politique de la transition vers le développement durable (quels groupes sociaux mobiliser ? Sur la base de quels arguments socioéconomiques ? Quels relais politiques actionner ?), quand elle ne prône pas franchement le court-circuit des processus et instances démocratiques, accusés de favoriser les comportements écologiquement irresponsables et les résistances au changement structurel, dans la lignée de la conclusion politique pessimiste du Principe responsabilité de Hans Jonas (1979).

L’écologie de marché repose quant à elle sur une vision erronée et dangereuse du système économique – le paradigme de la régulation interne – qui veut que celui-ci soit ou revienne toujours à l’équilibre optimal, autrement dit à la meilleure allocation possible des ressources. La question écologique trouverait ainsi sa solution dans le laisser-faire, c’est-à-dire le libre jeu des marchés de matières premières et le développement des marchés de ressources naturelles. Chacun peut aujourd’hui clairement percevoir la faillite de cette approche au vu du désastre auquel a conduit le fantasme de l’autorégulation des marchés financiers. La crise financière et la crise écologique ont d’ailleurs en commun de réintroduire, dans l’urgence, la puissance publique au secours d’un marché défaillant.