1956 est l’année des ruptures. À cette date, Edgar Morin n’est plus membre du PCF, mais, comme pour l’essentiel de l’intelligentsia française, la révélation des crimes de Staline par Khrouchtchev lors du XXe congrès du PCUS ainsi que l’invasion de la Hongrie par l’armée rouge soviétique sont pour lui un choc, une perte de boussoles, une remise en question radicale de leur rapport à l’histoire. À ce traumatisme s’ajoute la volte-face du gouvernement de Guy Mollet, élu pour faire la paix en Algérie, et qui accentue la guerre.
Devant un tel découragement, E. Morin en appelle à une révision généralisée des fausses certitudes. Commençant ce qu’il va qualifier de « désembouteillage idéologique », il décide de fédérer les intellectuels ébranlés au sein d’une nouvelle revue, Arguments, qui propose une révision du marxisme, un abandon de la vulgate, et une mise en évidence des contradictions de la modernisation. Cette revue se veut l’expression de ce dégel idéologique, substituant à la langue de bois une pensée interrogative, et multidimensionnelle. Avec Arguments, qui rassemble des intellectuels de la génération de la Résistance et pour la plupart anciens militants du PCF, E. Morin remet en question le prêt-à-penser. Conscients que les schémas sur lesquels ils ont fonctionné jusque-là sont caduques, ces intellectuels s’ouvrent aux acquis des sciences sociales alors en pleine effervescence, avec la percée en ce milieu des années 1950 de l’anthropologie, de la sémiologie et des questions d’ordre épistémologique.