Émotions fortes, mémoire vive

La force de nos émotions est capable de modifier en profondeur nos apprentissages. Dans certains cas se forment des souvenirs-flashes et des syndromes de stress posttraumatique. Pour le meilleur ou pour le pire…
Que faisiez-vous lorsque vous avez appris l’attentat contre les Twin Towers le 11 septembre 2001 ? Réfléchissez quelques secondes… Vous vous rappelez sans doute le lieu où vous vous trouviez et la manière dont vous l’avez appris, ce que vous avez ressenti, comment vous avez réagi, vous et vos proches. Votre souvenir du 11 septembre s’appelle un souvenir-flash, rappel vivace et détaillé des circonstances personnelles dans lesquelles on apprend un événement médiatique. Plus la surprise est grande et plus l’événement nous a émus, plus le souvenir-flash est clair et précis. Comment expliquer ce phénomène ?
En 2002, deux psychologues canadiens, Norman White et Robert McDonald (1), à partir d’un important corpus d’expériences chez l’animal et chez l’homme, ont dégagé trois systèmes de mémoire : émotionnelle, procédurale, relationnelle. Chacun fonctionne en parallèle, mais n’enregistre qu’un aspect particulier de la situation que nous sommes en train de vivre.
La mémoire émotionnelle associe un stimulus (un objet, une forme, un son, etc.) à une émotion positive ou négative (provoquée par de la nourriture ou, à l’inverse, par un choc électrique). C’est typiquement le conditionnement de Pavlov.
La mémoire procédurale associe, elle, un stimulus à une réponse motrice (par exemple, si je vois tel objet, je me dirige vers lui).
La mémoire relationnelle, enfin, permet de relier des stimuli distincts. Elle correspond à la mémoire épisodique qui tisse des liens entre nos différents souvenirs.
À chaque mémoire correspond une aire particulière : l’amygdale pour la mémoire émotionnelle, le striatum pour la mémoire procédurale et l’hippocampe pour la mémoire relationnelle.
De façon surprenante, la lésion d’une aire peut améliorer les autres apprentissages. Par exemple, dans certains cas, léser l’hippocampe facilite l’apprentissage procédural (qui dépend du striatum). Ceci suppose, et c’est le point central de la théorie, que les systèmes peuvent interagir, notamment en s’inhibant ou en s’excitant mutuellement.

Mémoire et émotion

En particulier, l’influence de l’amygdale sur les apprentissages réalisés par l‘hippocampe (le « marquage émotionnel ») a été démontrée par le neuroscientifique Gal Richter-Levin de l’université de Haïfa en Israël (2). Normalement, tout apprentissage relativement complexe nécessite des séances répétées. Mais en cas de stress fort, la charge émotionnelle va faciliter l’apprentissage : l’amygdale vient modifier les propriétés des neurones de l’hippocampe, les rendant plus excitables. Dans le cas d’une émotion très intense, une seule occurrence de l’événement peut permettre sa mémorisation. C’est ce qui semble se passer dans le cas des souvenirs-flashes. De façon plus quotidienne, nous avons tous pu vérifier que nous nous souvenons mieux de ce qui nous émeut. Retenir plus facilement les éléments importants est évidemment un avantage. Malheureusement, le système a ses limites.
Les syndromes de stress posttraumatique sont des troubles anxieux provoqués par un attentat ou un accident. Derrière le nom barbare se cache une grande souffrance psychique. Les personnes qui en sont victimes ont des pensées intrusives, qui sont des souvenirs répétitifs envahissant la vie quotidienne. Elles ressentent aussi une grande détresse quand elles se retrouvent face à des éléments évoquant l’événement qui les a traumatisées. Pourquoi ? Comme pour les souvenirs-flashes, on pense que l’amygdale est venue modifier les apprentissages réalisés au sein de l’hippocampe. Chaque élément est associé au danger, pour nous éviter de nous retrouver à nouveau dans la situation périlleuse. Mais dans ce cas, la modification, trop intense et inadaptée, devient délétère.
Des traitements existent, basés notamment sur les thérapies comportementales et cognitives, consistant ici à réexposer les sujets aux éléments traumatisants, mais dans des situations rassurantes. Ceci pour que la blessure s’efface et que l’hippocampe retrouve son mode de fonctionnement initial. C’est une méthode efficace chez un certain nombre de patients, mais pas chez tous. D’autres, que l’on croyait guéris, font des rechutes brutales. Mieux comprendre les mécanismes neurobiologiques à l’origine de ces phénomènes est crucial pour développer de nouveaux traitements plus efficaces.