Entretien avec Isabelle Baszanger. « La douleur est devenue une cause nationale en France »

Vous dites qu'il y a l'amorce d'une médecine de la douleur lorsque l'on passe de la douleur expérimentale à la « douleur clinique ». Qu'entendez-vous par là ?

Jusqu'à la moitié du xxe siècle, la douleur concerne surtout les chercheurs intéressés par le fonctionnement du système nerveux. La médecine la voit comme un symptôme et cherche à en traiter la cause. Un changement s'amorce avec les travaux de l'anesthésiste américain John J. Bonica. Sortant l'entité douleur du laboratoire, il construit une « douleur clinique » qui intègre l'individu malade et son expérience, ouvrant ainsi un nouvel espace au travail médical. En 1953, il pose les principes (pluridisciplinarité, présence d'un psychiatre...) d'une forme d'organisation nouvelle, la « clinique de la douleur ». Cependant, ses efforts rencontrent peu d'échos. Cette indifférence ne sera levée que très lentement, grâce entre autres à une nouvelle théorie scientifique - la théorie de la porte - selon laquelle les modalités de la douleur sont déterminées par de nombreuses variables physiologiques et psychologiques qui peuvent être modulées.