Entretien avec Jean-François Tétu. Information : la loi du récit

Dans les médias, l'actualité est « mise en récit » pour permettre la compréhension des événements. Il s'agit de raconter des « histoires ». Mais tous les types de médias ne « scénarisent » pas l'information de la même manière. Leur plus ou moins grande capacité de rendre l'actualité « présente » fait la différence.

On pouvait entendre, sur France Info, le 24 août 1998 au matin, l'information suivante : « Boris Eltsine présente son nouveau Premier ministre Victor Tchernomyrdine comme son successeur. Les prochaines élections présidentielles russes auront lieu en l'an 2000.

Alors que la Russie traverse une grave crise financière, le président russe a limogé l'ensemble du gouvernement de Serguei Kirienko nommé en remplacement de celui de Victor Tchernomyrdine, qui fait donc son retour aux affaires. »

Cette séquence d'actualité radiophonique, similaire à toutes celle que chaque jour nous lisons, écoutons ou regardons dans les médias, paraît purement objective et factuelle, dénuée de tout artifice de mise en scène. Pourtant, comme toute forme de discours médiatique, voire comme tout discours, l'actualité transmise par les médias est un récit, qui utilise les procédés habituels de la narration : il y a bien, dans la relation du limogeage de S. Kirienko et de la nomination de V. Tchernomyrdine, un début d'intrigue, dont le moteur est la destinée politique de la Russie, malmenée par une grave crise économique. Mais cette intrigue ne permet pas de faire un récit complet. Elle comporte un « à suivre », qui est un premier trait de l'information (contrairement au texte littéraire, l'information, sauf dans le cas du compte rendu d'arrêt du tribunal, n'est pas logiquement achevée). Cette intrigue comporte également deux embryons de scénario, l'un sur la succession de B. Eltsine, l'autre sur la « sortie de crise » de la Russie.

Pour Jean-François Tétu, qui analyse ce type d'exemple, la mise en intrigue des événements nous permet de donner sens au réel. Evidemment, rappelle-t-il dans l'entretien qui suit, chaque média (presse écrite, radio, télévision) utilise des procédés différents pour cette mise en scène et en récit de l'information.

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Sciences Humaines : Qu'est-ce qui, selon vous, caractérise le discours médiatique ?

Jean-François Tétu : La force de l'intrigue que proposent les journalistes est en premier lieu de nous donner le sentiment d'être en présence d'une expérience que nous connaissons et que nous pouvons comprendre.

Le récit médiatique est soumis à diverses contraintes. La première est celle de l'agencement des faits eux-mêmes. L'actualité relatée par les médias nous met en présence d'une action (les pompiers combattent le feu en Corse...). Elle découpe, dans le continuum et la complexité de l'expérience humaine, des « histoires » dont elle fabrique, pour un jour, une totalité. Celles-ci doivent comporter, comme tout les récits, un début et une fin.

Pour les médias, c'est la fin qui vient en premier : l'événement choisi pour apparaître dans l'actualité constitue la fin de l'histoire. C'est lui qui commande l'agencement de l'histoire. Il est toujours une « fin-en- suspens » donnée comme la clé momentanée de compréhension d'une histoire en mouvement. Ensuite vient le choix ou la construction du début. Les journaux vont alors chercher l'origine des événements qu'ils mettent en intrigue dans des périodes très diverses.

Mais cette mise en récit de la réalité par le discours médiatique se limite-t-elle à un découpage chronologique ? Ne faut-il pas aussi que ce récit tienne compte des structures logiques propres à toute narration ?

Certes, mais la mise en récit de l'actualité et sa structuration chronologique (un début, un déroulement, une fin) renvoie en fait essentiellement à une logique de déconstruction et reconstruction de l'action humaine. Or, les actions humaines impliquent des buts, des motifs, des agents et des circonstances. Elles supposent une interaction qui connaît trois formes de base : la coopération, la compétition et la lutte. Enfin, elles ont une issue, bonne ou mauvaise, connue ou attendue. Ce sont ces éléments d'analyse de l'action humaine qui font la trame du récit médiatique de l'actualité. Les éléments constitutifs de la compréhension de l'action (qui, quoi, où, quand, comment, pourquoi, avec qui, dans quel but ?) sont également des éléments constitutifs de la mise en récit.