Quelle est la place de René Girard dans le champ des sciences humaines ? S’agit-il vraiment d’un anthropologue ?
Oui, sauf si l’on refuse de reconnaître un chercheur à ses œuvres, comme on reconnaît un arbre à ses fruits. Certes, R. Girard n’est pas un ethnologue. Mais l’anthropologie ne se réduit pas à l’ethnologie. L’une vise à expliquer la diversité des cultures par des principes généraux et des invariants transculturels, l’autre à décrire et inventorier toutes les formes singulières qu’elles peuvent revêtir ici où là. Les anthropologues proprement dits ne sont d’ailleurs pas légion. Quatre, tout au plus, pour la France du siècle dernier : Claude Lévi-Strauss, André Leroi-Gourhan, Louis Dumont et R. Girard.
Or, La Violence et le Sacré (1972) est, sans conteste, un grand ouvrage d’anthropologie, au sens classique du terme. Il relance et renouvelle profondément la question du sacrifice, abandonnée pendant un demi-siècle par la recherche académique, en la reprenant d’un point de vue morphogénétique. Il tente de reconstituer la dynamique interne de la vie sociale et le processus même d’hominisation, de comprendre les conditions d’émergence de communautés stables, en mettant au jour les mécanismes qui leur permettent de réguler leurs facteurs internes de dissension. Il aboutit ainsi à une théorie générale de la culture qui réhabilite et renforce l’hypothèse de l’origine rituelle de la guerre, de la chasse et de la domestication. R. Girard donne une explication lumineuse de cette généalogie, passée de mode chez les ethnologues, mais redécouverte depuis peu par les archéologues.