Et si la nature portait plainte...

Selon des philosophes, juristes et militants, accorder des droits aux entités naturelles permettrait de mieux les protéger face à l’urgence écologique.

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Les arbres doivent-ils pouvoir plaider ? C’est la question que pose le professeur de droit états-unien Christopher Stone en 1972, dans un article fondateur. Pour contrer un projet de construction de la société Walt Disney qui menace une forêt de séquoias en Californie, il propose de conférer une personnalité juridique aux arbres et à « l’environnement naturel dans son ensemble » 1. Il ouvre alors la voie à une série de réflexions sur les droits à se défendre des écosystèmes et du vivant en général. Cette démarche présente une certaine analogie avec la pensée animiste, comme celle des Aborigènes d’Australie et des Amérindiens d’Amazonie, qui attribuent des intentions, des désirs et une sensibilité à tous les êtres de la nature, qu’ils soient vivants ou inertes, et pas seulement aux êtres humains. Selon Marie-Angèle Hermitte, directrice de recherche honoraire au CNRS et pionnière du droit du vivant, ce mode de pensée – qu’elle nomme « animisme juridique » – a aussi une dimension scientifique. Elle évoque « toute une série de découvertes scientifiques récentes – celle sur les arbres et la manière dont ils communiquent entre eux, par exemple – qui vont dans ce sens, et permettent de comprendre en quoi le monde dans lequel on vit est un monde d’interrelations entre vivants. » Depuis cet éveil philosophique, l’idée a fait du chemin dans plusieurs pays du monde qui ont en effet aménagé leur juridiction depuis le début du 21e siècle, et des projets existent en France à ce sujet (encadrés).

Une justice plus préventive

Ces initiatives sont cependant l’objet de débats : quel intérêt aurions-nous à bousculer le droit ? Après tout, les entités naturelles peuvent déjà être défendues, notamment par des associations, et il existe des outils juridiques permettant la réparation des dommages environnementaux – comme le préjudice écologique ou la notion de patrimoine. « Le problème, c’est qu’on ne peut agir que quand le préjudice a eu lieu, c’est-à-dire après la catastrophe », répond Valérie Cabanes, juriste en droit international et militante écologiste. Modifier le droit permettrait donc d’obtenir une justice plus préventive. « De plus, la nature est constamment mise en balance avec d’autres principes constitutionnels, qui sont la liberté d’entreprendre et la propriété privée. » Si des écosystèmes ou des espèces pouvaient défendre leur droit à exister en justice, ils pèseraient plus lourd dans la balance. « On pourrait donc demander au juge d’arrêter ou d’interdire des projets qui auraient trop d’impact sur la biodiversité, le climat, etc. »