C’est l’histoire d’une déception. L’élection de Barack Obama en 2008, premier président noir, avait pourtant été presque unanimement saluée comme un moment décisif dans l’histoire des relations interraciales aux États-Unis. Le lendemain de sa victoire, le New York Times titrait : « Obama élu Président ; la barrière raciale tombe. » De nombreux commentateurs affirmaient alors que le pays était dorénavant entré dans une ère « postraciale ». Mais tout comme la « fin de l’histoire » proclamée après la chute du mur de Berlin, l’avènement de cette « postracialité » semble avoir été annoncé un peu trop hâtivement. Non seulement le président lui-même a été victime d’un racisme plus ou moins explicite, mais les hiérarchies raciales qui structurent depuis toujours la société américaine perdurent, tout en assumant de nouvelles configurations. Les tensions raciales suscitées par des incidents policiers en série, ainsi qu’un ressentiment blanc de plus en plus décomplexé, dont le candidat Donald Trump s’est fait le porte-parole, ne font qu’aggraver un climat déjà tendu. Le pays se trouve ainsi dans une situation pour le moins paradoxale : le premier président afro-américain aura tenu le gouvernail d’une société demeurée profondément raciale, et même raciste.
Des inégalités qui demeurent entre les races
Plusieurs données confirment la persistance, voire l’aggravation des inégalités entre les races dans l’Amérique actuelle. En premier lieu, les circonstances économiques de certaines minorités ethniques se sont considérablement aggravées depuis la crise de 2008. Même avant la récession, une sorte d’inégalité économique structurelle existait entre les races : entre 1980 et 2010, les ménages blancs gagnèrent en moyenne deux fois plus que les familles afro-américaines et hispaniques. La crise a donc amplifié des disqualifications économiques de longue date. Surtout, l’écart entre le patrimoine moyen des différents groupes raciaux s’est creusé. Selon l’Urban Institute, les ménages blancs disposaient, avant la récession, de quatre fois plus de richesse que les familles non blanches ; en 2010, la richesse des premiers était désormais six fois plus importante que celle des derniers. Manquant de telles ressources, les minorités bénéficient rarement des longueurs d’avance qu’assure un patrimoine, qui permet de financer des études, d’acheter une maison, ou de lancer une entreprise. D’autre part, les Afro-Américains et les Hispaniques furent les principales cibles des prêts immobiliers « subprimes » (les banques les ayant encouragés à assumer des dettes qu’ils ne pouvaient rembourser) et beaucoup ont vu leurs maisons saisies pour non-paiement d’hypothèque. Si les ménages hispaniques et afro-américains ont perdu respectivement 44 % et 31 % de leur richesse entre 2007 et 2010, la perte subie par les familles blanches ne s’éleva qu’à 11 % 1.
Ensuite, le principe de l’égalité devant la loi, inscrit dans la Constitution américaine, semble éluder certaines minorités. Elles sont soumises à un régime judiciaire répressif dont la majorité blanche n’est que vaguement consciente. L’indice le plus révélateur de cet état de fait est une incarcération de masse extrêmement discriminatoire. Selon la National Association for the Advancement of Colored People (ou NAACP, une association défendant les intérêts des Afro-Américains), le nombre d’Américains en prison a quadruplé de 1980 à 2013, passant de 500 000 à 2,3 millions. En 2008, 58 % des prisonniers étaient afro-américains et hispaniques, alors qu’ils ne représentent qu’un quart de la population totale. Le taux d’emprisonnement des Afro-Américains est six fois supérieur à celui des Blancs 2.