« Il faut que je sois toujours derrière lui, sinon il ne fait rien », peut dire une mère de son fils ; « Il me traite comme sa petite soeur, toujours prêt à me prendre sous son aile », dira cette jeune fille de son meilleur ami. Cette façon de parler montre qu'on peut exprimer sa relation à l'autre en termes de positionnement ; autrement dit, que les relations interpersonnelles se structurent à partir de la position respective (la « place ») que prend chacun des protagonistes : dominant/dominé ; sauveur/souffrant ; bourreau/victime...
La notion de « place » indique un positionnement dans une topologie relationnelle qui, à la fois, identifie le bénéficiaire et le situe dans une structure. On retrouve ces deux aspects différents dans des expressions courantes qui caractérisent assez justement les stratégies relationnelles : ainsi, « avoir sa place » traduit le besoin de chacun d'être identifié et différencié (comme les bourgeois de Pot-bouille d'Emile Zola, crispés sur le besoin de « tenir leur rang ») ; ou bien « être à sa place » montre qu'on s'insère dans un ensemble où une certaine place vous est assignée. Ainsi, dans son roman autobiographique intitulé, justement, La Place, Annie Ernaux parle de son père comme d'un homme fier de « savoir rester à sa place ».
Cette notion peut, bien sûr, être reliée à celles, plus anciennes, de « statut » et de « rôle ». Elle a cependant un sens plus large et il serait plus juste de dire qu'elle les inclut dans la mesure où elle ne renvoie pas seulement à un positionnement social institué, mais également à un ordre symbolique ou subjectif. Ainsi, un homme peut présenter quelqu'un comme son « père » et, par ces mots, indiquer une différence de statut à l'intérieur d'un système institutionnel donné (la famille). Mais s'il justifie son propre comportement par les mots : « Je suis bien obligé de le supporter, c'est mon père ! », ce qu'il marque alors, c'est moins l'évidence d'un état de fait (une relation subjective de subordination induite par un rapport statutaire) que la façon dont il le vit (ici, dans l'impuissance).
Les places de l'individu
Les places que prennent les individus dans une relation ne sont pas indépendantes et juxtaposées, car il existe entre elles un lien et un ajustement mutuels. C'est pourquoi on parle plus généralement de rapport de places, notion fondamentale dans l'étude des relations interpersonnelles.
En effet, plus encore que la personnalité des protagonistes, le rapport de places fonde la spécificité de chaque relation, car un même individu change généralement de position selon la situation dans laquelle il se trouve et en fonction de ses partenaires. Ainsi, un homme pourra se montrer autoritaire avec ses subordonnés sur son lieu de travail et laxiste avec ses enfants ; et dans une famille, il est possible de voir le père traiter son fils en égal, lui faire confiance et solliciter son avis, alors qu'il surveille étroitement les faits et gestes de la cadette encore adolescente et manifeste une certaine exaspération chaque fois que celle-ci exprime une opinion ou cherche à gagner plus d'autonomie.
A travers la communication, chacun vise une certaine place, mais assigne aussi à son (ou ses) interlocuteur(s) une place corrélative qui complète, renforce et justifie la sienne. Ainsi, le patron qui demande à sa secrétaire d'interrompre sa tâche pour lui apporter un dossier rappelle que le rapport employeur/employé lui donne le rôle de distribuer le travail de ses subordonnés et le pouvoir de diriger leurs activités.
Les interlocuteurs peuvent accepter et entériner cette place (parce qu'elle les valorise, parce qu'ils y trouvent un intérêt, parce qu'ils n'ont pas le choix...). Mais ils peuvent aussi la contester et tenter d'établir un autre rapport. Ainsi, dans l'exemple précédent, les employés acceptent généralement la place que leur assigne leur employeur parce qu'ils l'estiment justifiée, qu'ils y trouvent des avantages (avoir un emploi, ne pas prendre de responsabilité...) ou qu'ils n'envisagent pas un autre mode de relation. Cependant, certaines circonstances (comme un mouvement social) peuvent les pousser à remettre en question le rapport de places antérieur : refuser d'être de simples exécutants, revendiquer une certaine forme de co-gestion, occuper les locaux directoriaux...