France : l'esprit des lieux

Les sociologues avaient-ils oublié l’espace ? Au-delà des critères classiques (catégories socioprofessionnelles, âge, sexe…), plusieurs études récentes soulignent à quel point le fait de vivre ici où là façonne nos conduites, nos opinions et notre expérience du monde social.

Une mosaïque de peuples

C’est ce en tout cas ce qu’ont voulu rappeler avec force les démographes Emmanuel Todd et Hervé Le Bras avec la republication d’un ouvrage datant de 1981 : L’Invention de la France (2012). Trente ans après, leur hypothèse est toujours aussi déconcertante : selon eux, « chacun des pays de France représente en fait une culture, au sens anthropologique du terme, c’est-à-dire une façon de vivre et de mourir, un ensemble de règles définissant les rapports humains fondamentaux, entre parents et enfants, entre hommes et femmes, entre amis et voisins ». D’après leur analyse, ce sont les systèmes de parenté qui sont à l’origine de ces différences. Chaque territoire est dominé par un type familial (famille « nucléaire » regroupant parents et enfants, « communautaire » regroupée autour d’un ancien ou « souche » où un enfant marié reste dans la maisonnée) qui engendre des pratiques spécifiques en matière de mariage, de voisinage, de religion, et notamment des comportements politiques différents.

C’est ce dernier point qui justifie notamment, pour les auteurs, la republication de l’ouvrage en cette année électorale. Bien plus que le milieu social ou l’âge, c’est « l’esprit des lieux », autrement dit les manières d’être ensemble qui, selon les deux démographes, commanderaient les choix électoraux. À cette aune, le vote Front national ne s’expliquerait pas par le ressentiment, la frustration ou la xénophobie mais par la « rupture d’un lien anthropologique essentiel : celui du voisinage », résultat de la dissolution des liens sociaux dans la périphérie des agglomérations (étalement urbain, augmentation des distances travail-domicile…).