Françoise Lantheaume : Laïcité, le temps du pragmatisme

Françoise Lantheaume a mené une enquête inédite sur la manière dont les enseignants interagissent avec les élèves sur les questions de religion. Pour dénouer les tensions, les professeurs privilégient le dialogue et la transmission de connaissances.

Dans le cadre de l’enquête « Religions, discriminations et racisme en milieu scolaire » 1, menée avec Sébastien Urbanski de l’université de Nantes, vous avez analysé les discours et les pratiques des équipes éducatives dans une centaine de collèges et lycées publics et privés. À quelles situations sont-elles confrontées ?

Dans la plupart des cas, elles sont face à des élèves qui formulent des croyances, des incompréhensions et des erreurs que les enseignants traitent comme telles, sans dramatiser leurs interventions. Ils considèrent que ça fait partie du travail que de répondre à des collégiens ou des lycéens qui disent des bêtises et n’hésitent pas à se montrer provocateurs. Les atteintes au principe de laïcité faisant l’objet d’un signalement auprès de l’institution sont très rares au regard de l’ensemble de l’activité enseignante. Ce sont des situations qui ont en général été vécues comme des moments d’épreuve particulièrement douloureux. Ce petit pourcentage de cas 2 (627 entre décembre 2021 et mars 2022, écoles, collèges et lycées confondus à rapporter aux 12 millions d’élèves, ndlr) considérés comme les plus graves émerge et parfois s’incruste essentiellement dans les établissements marqués par une forte homogénéité sociale et culturelle. Et ce, quelle que soit l’expression religieuse concernée.

Si on parle plus des collèges et des lycées défavorisés où les musulmans sont surreprésentés, c’est aussi qu’ils sont plus nombreux. Lorsque les élèves expriment des croyances catholiques, la plupart du temps, ils ne sont pas majoritaires au sein de l’établissement. Quant aux familles de confession juive, une bonne partie d’entre elles met ses enfants dans des écoles privées, si bien que les revendications liées à cette religion sont rares dans l’école publique.

Qu’est-ce qui déclenche de telles tensions ?

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Elles émergent au détour d’un cours ou lorsque des normes collectives liées à la religion des parents et des adolescents, validées par le groupe, entrent en contradiction avec celles de l’institution scolaire. Par exemple autour des repas servis à la cantine, de l’obligation d’aller en classe au moment du shabbat ou de pratiquer certaines activités pendant le ramadan. Mais plus il y a de collégialité et de coopération dans l’établissement, plus ces problèmes se résolvent facilement. Pour dénouer les tensions, rien de tel que des rencontres régulières entre les professeurs principaux et les personnels de vie scolaire pour discuter des règles et mettre en place des systèmes de vigilance… Par exemple, dans un établissement, tous les enseignants d’une même classe recevaient un SMS dès qu’un élève posait problème. Sans oublier l’importance du dialogue avec les familles. Initier les élèves aux règles de la vie sociale, ça demande du temps.