Fratrie : quand la succession fait mal

Une succession peut faire voler en éclat la belle concorde qui semblait régner entre frères et sœurs. Plus que de l’argent, elle remet en cause le rang de chacun dans la famille.

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L’héritage est souvent associé à des disputes et des conflits délétères, mais cela n’a pas toujours été le cas. Prisé jadis, lorsque les mariages étaient arrangés et qu’on vivait de ses rentes ou des revenus de son patrimoine, il entrait très directement dans les espérances de chacun. Il faisait partie intégrante des attentes, des projets voire des calculs que les enfants de familles fortunées ou seulement propriétaires nourrissaient quant à leur devenir et à leur position sociale. L’importance même de cet enjeu, sur le plan à la fois économique et social, expliquait l’âpreté de luttes inhérentes à la vie sociale dont la littérature faisait amplement usage. La Comédie humaine (1829 à 1850) de Balzac regorge par exemple d’histoires de testaments suprises, de partages iniques et d’espoirs tronqués. Aujourd’hui, la situation n’est plus la même. Avec la généralisation du salariat, nous héritons principalement d’un capital culturel qui sustente le capital scolaire ; notre position sociale dépend essentiellement du milieu d’où on vient et de nos diplômes. Pour les classes moyennes et populaires, l’héritage vient au mieux conforter ces acquis et favoriser leur conversion en capital immobilier. On n’en traite plus guère non plus dans les romans ou au cinéma, si ce n’est pour ironiser sur les déchirements familiaux que provoque le décès d’une grand-mère, comme dans le film de Louis Malle Milou en mai (1990).

De l’économique à l’affectif

L’enjeu matériel et économique de l’héritage s’est par conséquent considérablement amoindri. Loin des espérances de jadis, il représente tout au plus un bonus tardif – allongement de l’espérance de vie oblige – qui survient au sein de groupes familiaux. Les plus jeunes ont tôt appris à se débrouiller tout seuls, tandis que les aînés se sont convaincus de l’absolue nécessité de rester indépendants aussi longtemps que possible. L’héritage survient donc entre des générations désintriquées sur le plan économique, libérant de ce fait les rapports affectifs des questions financières. Comme le mariage, les rapports de transmission sont aujourd’hui librement consentis, bien qu’encadrés par la loi qui, en France, oblige les parents à traiter pour l’essentiel leurs enfants, héritiers en ligne directe, à égalité. Et comme les mariages, ils laissent place aux désordres de l’amour et de l’affection.