La vue d’une vache ou d’un chien qui tente de s’accoupler avec un congénère de même sexe pose de graves questions aux observateurs de la nature. À première vue, ces fantaisies semblent étrangères à l’impérieuse nécessité de croître et multiplier. Une vieille idée, qui perdure depuis l’Antiquité, voudrait en effet que toute forme de vie n’existe que pour se reproduire. Or, cette évidence préscientifique s’est trouvée renforcée et rationalisée par les théories modernes. En 1871, Charles Darwin introduisit la sélection sexuelle comme principal moteur de l’évolution des caractères sexuels secondaires : les grands bois du cerf lui servent à écarter ses rivaux sexuels, la queue du paon lui sert à séduire les femelles, etc. En 1972, le chercheur américain Robert Trivers avança la théorie de l’investissement parental. Elle part du principe que le sexe investissant le plus dans la reproduction, généralement les femelles, constitue une ressource limitée pour les individus de l’autre sexe, généralement les mâles. C’est pourquoi ils entrent en compétition pour y avoir accès. Depuis, le stéréotype du mâle, sexuellement insatiable et peu regardant sur la qualité de ses partenaires sexuels, continue ainsi d’être opposé à la supposée continence sexuelle des femelles, censées être plus exigeantes. Mais ces idées simples supposent que les individus mettent effectivement tout en œuvre pour avoir accès aux partenaires sexuels leur assurant la plus nombreuse descendance. Que faire de l’homosexualité ?
Premières explications
Les premières interprétations fournies au XVIIIe siècle réduisaient le phénomène à une sorte de déviance, provoquée, par exemple, par le confinement excessif qu’impose souvent la captivité. Sa manifestation chez les animaux d’élevage, jugée indésirable car contre-productive, fut mise sur le compte d’effets pervers de la domestication. L’activité homosexuelle était alors vue comme un simple exutoire, faute de mieux. Certains physiologistes développèrent aussi l’idée que les comportements homosexuels répondaient à un dérèglement hormonal précoce. Mais voilà : toutes ces explications ne valent que si c’est un phénomène rare, exceptionnel. Or les observations répétées de ces comportements dans la nature ont fini par convaincre la communauté scientifique que l’homosexualité, chez les animaux, ne peut être réduite à un simple dysfonctionnement. L’ouvrage encyclopédique de Bruce Bagemihl publié en 1999, Biological Exuberance: Animal homosexuality and natural diversity, marque de ce point de vue un tournant historique. Il ressort en effet de cette méticuleuse compilation que des centaines d’espèces de mammifères, d’oiseaux, de reptiles, d’amphibiens, de poissons et même d’invertébrés ont des comportements homosexuels. Chez certaines, l’activité homosexuelle surpasse même l’activité hétérosexuelle. Même si plusieurs cas rapportés par B. Bagemihl relèvent de l’anecdote, il est devenu difficile, après ce constat, de ranger l’homosexualité animale au rayon des anomalies.