Gerre des psys : un enjeu de société

Les polémiques agitant les divers psys reflètent de profondes questions de société : au-delà des spécialistes du psychisme, c’est la politique de santé publique en général qui se trouve concernée.

Octobre 2003 - février 2004 : deux événements (l’amendement Accoyer visant à réglementer l’emploi du titre de psychothérapeute, et une expertise de l’Inserm évaluant les différentes « approches psychothérapeutiques ») font s’embraser le monde psy et une large partie de l’opinion cultivée. La polémique ponctuée de rebondissements reste passionnée durant plusieurs années. Si elle a aujourd’hui perdu en vigueur, elle est loin d’être close. Le malaise et la discorde avaient en fait commencé à partir du milieu des années 1990 à la croisée de plusieurs enjeux.

La première question est : « Qui peut légitimement exercer la psychothérapie ? » Sigmund Freud s’était refusé à faire de la psychanalyse une discipline médicale, mais les médecins psychiatres l’avaient vite ramenée dans le giron de la médecine. En France, les procès contre les non-médecins (principalement des psychologues) pour exercice illégal de la médecine n’ont cessé que dans les années 1970. Aujourd’hui, politiques, médecins et, bien sûr, psychologues s’accordent pour considérer que la psychothérapie peut être mise en œuvre par les deux groupes professionnels. Néanmoins, le différend est réactivé par certains psychiatres qui remédicalisent la psychothérapie, et contestent l’autonomie de pratique des psychologues : ils rappellent que le diagnostic, le choix du traitement et son évaluation sont de la responsabilité des médecins. Un autre conflit interprofessionnel a émergé avec l’arrivée de psychothérapeutes qui ne sont ni psychiatres ni psychologues ni psychanalystes. Venant le plus souvent des métiers du paramédical et du social, ils se positionnent explicitement sur le terrain de la santé mentale, et argumentent qu’eux seuls sont spécifiquement formés à la psychothérapie.

 

Une tentative de régulation controversée

Un autre enjeu tient à la difficulté de différencier le recours à la psychothérapie pour des problèmes de santé mentale reconnus comme tels, d’un recours en cas de « bleus à l’âme » ou pour le développement personnel. Cette difficulté procède du déplacement de la psychiatrie vers la santé mentale, qui n’a cessé d’élargir les problèmes relevant d’un « traitement » : c’est-à-dire non plus seulement les pathologies psychiatriques ou les dépressions sévères, mais aussi les dépressions légères, l’anxiété, les nouvelles addictions (aux jeux, aux achats…) ou les troubles alimentaires ; non plus seulement l’hyperactivité, mais aussi la grande timidité devenue phobie sociale ; non plus seulement la souffrance psychique, mais aussi les souffrancespsychosociales (abus sexuels, traumatismes, harcèlements, ruptures de vie…), ou la souffrance au travail. Dans ce nouveau contexte, ne doit-on pas généraliser la socialisation du coût des psychothérapies ? La question, timidement soulevée lors de la première campagne pour la prévention de la dépression en 2007, ne manquera pas d’être reposée.