Gottlob Frege (1848-1925) et Bertrand Russell (1872-1970) ont mis l’accent, en tant que logiciens philosophes sur la souveraineté, non de la conscience, mais de la pensée. En effet, la tâche de la logique selon Frege n’est pas de dire comment les gens pensent, ni d’indiquer ce qu’ils tiennent pour vrai. Si cela avait été le cas, si la logique s’intéressait à ces processus, elle devrait accorder une grande importance au langage. Or, Frege considère que l’objet propre de son étude n’est pas le langage, mais les conditions de vérité et de fausseté de nos pensées : non pas ce qui est tenu pour vrai, mais ce qui l’est véritablement. Cependant, dans la mesure où, pour nous humains, la pensée se donne toujours sous la forme d’une expression, il devient inévitable de traiter du langage, en particulier des illusions que celui-ci entretient sur la nature des pensées exprimées, comme l’illusion de voir naître et disparaître les pensées par le seul fait de les affirmer ou de les nier : nous n’avons pas ce pouvoir créateur sur les pensées par le seul fait de les exprimer. Frege dénonce le pouvoir destructeur que le langage ordinaire accorde spontanément à la négation : la négation ne découpe pas les pensées. Elle n’est qu’un opérateur logique qui présente un contenu jugeable d’une certaine façon. On peut affirmer, nier ou questionner : on n’a pas encore jugé pleinement. La négation est une caractérisation de la pensée, et non du jugement.
Des arrière-pensées théologiques
La relation magique aux choses que le langage entretient est bien sûr sensible dans les questions relatives à l’existence. Le dialogue que Frege a eu avec le théologien Bernhard Pünjer 1, montre combien cette relation magique du langage est confortée par des arrière-pensées théologiques. Dans la proposition « Dieu existe », le mot « Dieu » n’est pas un nom propre qui désigne un être singulier qui serait Dieu, c’est un mot conceptuel incomplet du type « ce qui a le maximum de réalité » : affirmer son existence, c’est dire qu’un concept exprimé ainsi n’est pas vide. Mais le langage entretient l’illusion selon laquelle l’existence qualifie directement les objets, individus du monde, êtres singuliers, alors qu’elle se rapporte aux concepts.
Gottlob Frege, 1884, trad. fr. Seuil, 1989. Gottlob Frege, 1882-1904, trad. fr. Seuil, coll. « Points », 1971. Bertrand Russell, 1912, trad. fr. Payot, 1989. Bertrand Russell, in , 1897-1919, trad. fr. Puf, 1989.