«C e qui nous parle, me semble- t-il, c'est toujours l'événement, l'insolite, l'extra-ordinaire. Les trains ne se mettent à exister que lorsqu'ils déraillent, et plus il y a de voyageurs morts, plus les trains existent. »
« Il faut qu'il y ait derrière l'événement un scandale, une fissure, un danger, comme si la vie ne devait se révéler qu'à travers le spectaculaire. »
« Ce qui se passe vraiment, ce que nous vivons, le reste, tout le reste, où est-il ? » Ainsi débute L'infra-ordinaire, un recueil de textes où l'écrivain Georges Perec 1 entreprend de nous parler du banal, de l'évident, du quotidien : le petit café du matin, l'angle de la rue où l'on habite, les vacances à Deauville ou à Juan-les-Pins, ou les objets oubliés dans le vide-poche de la voiture.
« Ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, l'évident, le commun, l'ordinaire, l'infra-ordinaire, le bruit de fond, l'habituel, comment en rendre compte, comment l'interroger, comment le décrire ? » Que dire, demande donc Perec, de l'ordinaire ? De ce qui, justement, à force d'être trop banal, ne fait plus sens ?
Pour les sciences humaines, pourtant, rien n'est moins banal que le banal, rien n'est moins évident que l'évident. Pourquoi ? Parce que, pour qui sait le décrypter, le quotidien le plus insignifiant peut dévoiler une part essentielle de l'humain. Une part d'autant plus intéressante et difficile à explorer qu'elle fait partie d'une « seconde nature », qui tisse souvent à notre insu, la trame de nos existences. Voyons comment.
Du micro au macro. La grande histoire à travers la petite.
Dans les enquêtes sociales, le quotidien apparaît tout d'abord sous la forme d'austères enquêtes statistiques et de données quantitatives : évolution des pratiques religieuses, structure de budgets-temps (consacrés au loisirs, au travail, au transport), nombre de mariages ou de divorces, taux d'équipement des foyers en biens ménagers...