Connaissez-vous le « syndrome d’Asperger » ? C’est une forme d’autisme qui a été décrite cliniquement en 1981, et a intégré en 1994 le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV). Le syndrome a été ensuite rebaptisé « trouble du spectre autistique », et a donné naissance, dans la culture cinématographique entre autres, à un type de héros combinant des difficultés sociales avec une intelligence hors-norme. C’est le cas, par exemple, de la hackeuse Lisbeth Salander dans la série Millenium. Or, ce syndrome avait été signalé en 1943 par le psychiatre Hans Asperger, alors que l’Autriche avait rejoint le IIIe Reich nazi. Si la notion d’autisme voit le jour en 1911, Hans Asperger fut en effet le premier, avec son collègue viennois Leo Keller, à l’employer dans le sens d’une pathologie caractérisée par le repli social. C’est l’objet de sa thèse post-doctorale intitulée Les psychopathies autistiques pendant l’enfance (1943). Quelques décennies plus tard, cette étude le rendra célèbre. Mais qui était Hans Asperger ? Une légende dorée voudrait qu’il ait été un progressiste, un fervent catholique qui refusa d’adhérer au parti national-socialiste et qui, à la façon d’un Schindler, aurait agit à l’encontre des programmes d’éliminations du IIIe Reich. E. Sheffer, au terme d’une longue enquête archivistique, parvient malheureusement à un tout autre bilan.
Pour comprendre le parcours d’Asperger, il faut revenir au contexte historique. Dans le projet nazi de dominer l’Europe, l’idéologie de « l’hygiène raciale », version allemande de l’eugénisme très en vogue à l’époque, a occupé une place centrale. Pour les médecins accompagnant la cause nationale-socialiste, leur science devait participer au projet de créer une « communauté du peuple » homogène, débarrassée de ses éléments indésirables : non seulement les juifs, les tziganes, les témoins de Jéhovah, les opposants politiques et les homosexuels, mais aussi les sujets considérés comme handicapés ou asociaux. Les nazis visaient la purification du corps social, laquelle fut mise en œuvre entre autres par des politiques d’extermination. Pour ce qui est des handicapés et asociaux, 200 000 d’entre eux périrent ainsi au cours de l’opération dite T4. Pour façonner sa « société idéale », l’État nazi, rappelle E. Sheffer, en appelait à un « régime de diagnostic » généralisé : le principe était de classer l’ensemble de la population selon une série de critères (race, religion, sexualité, tendances politiques, hérédité...) et de la distribuer en différentes catégories, plus ou moins aptes à intégrer la société à venir. Les médecins, et surtout les neuropsychiatres, ont contribué à cette sélection générale en pratiquant expériences, stérilisations forcées et « euthanasies ». Dans la ville de Vienne, occupée depuis 1938 (Anschluss), l’euthanasie a été pratiquée sur plusieurs milliers d’enfants déclarés inaptes (entre 5 000 et 10 000), notamment dans un centre social de la ville, le Spiegelgrund, qui fut le deuxième plus important centre d’extermination d’enfants dans le IIIe Reich.