Déjà Homère s’inquiétait d’eux : « Mes hôtes, votre nom ? D’où nous arrivez-vous sur les routes des ondes ? Faites-vous le commerce ? N’êtes-vous que pirates qui, follement, courez et croisez sur les flots, et, risquant votre vie, allez piller les côtes étrangères » (Odyssée, III, 71-74 et IX, 252-255). La piraterie maritime est aussi ancienne que le commerce et lui est indissociable : la mer est un espace de « non-droit » où les armées des États et empires ne peuvent intervenir que très difficilement. D’où, comme l’analyse l’historien américain Daniel Heller-Roazen dans un ouvrage tout récent, l’inquiétude sourde qui accompagne ces navigateurs criminels en tout genre : pirates de l’Antiquité, corsaires du Moyen Âge, barbaresques de la mer Rouge, flibustiers et boucaniers des Temps modernes.
César, les pirates et le contrôle des… terres
En - 78, Jules César est un jeune patricien de 23 ans. Son oncle Marius vient d’être disgracié à Rome et César doit lui aussi s’exiler. En route vers Rhodes, le navire de César est pris en chasse au large des côtes de Carie. Capturé par les pirates de Cilicie, le jeune Caius Julius César est emprisonné à terre dans la ville de Pharmacuse et échangé quelques semaines plus tard contre une rançon de cinquante talents, une somme considérable. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Libéré, César convainc le légat de Milet, Valerius Torquatus, de lui confier le commandement d’une flotte de galères. À la tête de celle-ci, César capture les pirates, récupère la rançon, et se présente devant le prêteur d’Asie Mineure, un certain Junius, pour demander leur exécution. Celui-ci se montre très réticent : des accords et des arrangements implicites lient tous les pouvoirs à terre aux pirates des îles ioniennes et il n’est pas question de s’aliéner les pouvoirs illégaux des pirates illyriens, tyrrhéniens et ciliciens. La petite histoire raconte que César se passera de l’accord de Junius et fera exécuter les prisonniers.
Au-delà de l’anecdote historique, trois éléments essentiels de la piraterie ancienne apparaissent ici. La piraterie est liée aux routes du commerce maritime ; elle procède soit du pillage, soit de la contrebande, soit de la prise d’otages échangés contre des rançons ; enfin elle suppose une organisation rigoureuse à terre et des alliances avec les pouvoirs locaux que l’on corrompt. Et ceci est vrai aussi bien dans la Méditerranée ancienne, que dans les mers de Chine, d’Inde ou d’Arabie au Moyen Âge. Et bien sûr dans le lieu principal de la piraterie occidentale à partir du XVIe siècle, le bassin des Caraïbes.