Imaginer l'ailleurs

De la carte géographique à la photo touristique, nous pensons le monde par l’intermédiaire des images. Cet imaginaire modélise en profondeur nos représentations des lieux et des autres peuples.

Qu’ont donc en commun l’émission Rendez-vous en Terre inconnue sur France 2, la série des Indiana Jones, les peintures de Paul Gauguin à Tahiti, un cours de géographie sur l’Amérique, le magazine National Geographic, les guides de voyage, les classements de TripAdvisor sur Internet, les chansons de Cesaria Evora, le parfum Opium d’Yves Saint Laurent, et les restaurants de sushis ? Ils participent tous à la formation de notre imaginaire géographique, en particulier celui de l’ailleurs.

L’imaginaire géographique se définit comme l’ensemble des représentations qui font sens, séparément et en système, et qui rendent le monde appréhendable, compréhensible et praticable. Ces représentations portent sur des objets ou des processus géographiques, qui en tant que tels ne préexistent pas au discours qui les fait advenir. Par exemple, l’Amérique n’existe pas en tant que telle avant sa « découverte » par les Occidentaux et avant que le monde ait été par eux découpés en continents. L’imaginaire rend moins compte du monde qu’il le fait advenir sous la forme et les aspects qu’on lui connaît. Il possède une dimension performative : en imaginant l’ailleurs, on en crée les lieux et les contours.

Une optique postcoloniale

Pour autant, l’imaginaire géographique n’est pas imaginaire au sens où il ne procéderait que de l’imagination. Il a une logique, il est cohérent avec le monde tel qu’on l’observe et surtout il est efficace : il permet de se déplacer dans le monde, de l’exploiter politiquement et économiquement. L’imaginaire est une forme de savoir. Dans cette optique, la géographie savante, qui se met en place en Europe à la fin du 19e siècle, n’est qu’une forme d’imaginaire géographique, particulièrement efficace : celui des scientifiques. La question de la véracité ou de l’exactitude d’un imaginaire n’a guère de sens ou d’intérêt : l’essentiel est qu’il soit pertinent. L’imaginaire géographique, en particulier celui de l’ailleurs, résulte moins de l’expérience personnelle des lieux que des représentations collectives diffusées par de multiples vecteurs : livres, cartes, télévision, brochures touristiques, etc. Il est dans la nature de l’imaginaire géographique d’être stéréotypé. C’est parce que l’imaginaire de l’ailleurs est riche en stéréotypes (qui ne sont pas nécessairement faux ni négatifs) qu’il intéresse particulièrement la géographie culturelle. Récemment, celle-ci a pris un tournant critique la conduisant à examiner avec suspicion les représentations que l’Occident s’est faites du « reste du monde », dans une optique postcoloniale.