Je tague, donc je suis

Une enquête réalisée auprès de jeunes tagueurs bouscule nombre d'idées reçues. Ces derniers sont loin d'être les jeunes des banlieues en difficulté qu'on imagine encore parfois.

Aujourd'hui encore, qui dit tag pense aussitôt « jeunes des banlieues » ou des «cités », voire insécurité, incivilité, délinquance... Pourtant, le tagueur ne vit pas toujours en banlieue comme se plaisent à le suggérer les images véhiculées par les médias ou le cinéma. C'est le premier enseignement qui ressort d'une enquête originale effectuée par Marie-Line Félonneau et Stéphanie Busquets, deux psychosociologues de Bordeaux 1. A la différence des chercheurs qui les ont précédés sur ce terrain, elles ne s'en sont pas tenues à l'analyse des seuls tags et autres grafs 2, mais sont allées à la rencontre de ces jeunes pour connaître leur parcours, leur premier contact avec le tagage, leur motivation ainsi que leurs pro-pres représentations, les risques qu'ils encourent, etc.

A la différence des reportages publiés régulièrement dans la presse ou diffusés dans les médias, leur enquête repose sur plusieurs témoignages de ta-gueurs, pour l'essentiel bordelais. A la manière de journalistes d'investigation tels que les imaginait le sociologue américain Robert E. Park, elles ont pris le temps de pénétrer le milieu, d'en décoder le vocabulaire.

Un bref aperçu de leur échantillon montre que le monde du tag recrute bien au-delà de toute origine sociale ou ethnique particulière. Plus de la moitié des ta-gueurs interrogés sont fils d'ar- tisans, de commerçants, d'employés ou de professions intermédiaires ; plus d'un sur dix a un parent cadre supérieur. Enfin, tous les tagueurs de moins de 19 ans sont scolarisés ; on en retrouve même certains dans les établissements les plus prestigieux de la capitale aquitaine. Les trois quarts sont dans les filières littéraires ou scientifiques de l'enseignement général. Les plus âgés sont inscrits à l'Université, dans des filières artistiques. Si les tagueurs qui ont arrêté leurs études sont rarement insérés professionnellement, la plupart vivent encore chez leurs parents.