Jean Guilaine Nouvelles hypothèses sur les femmes néolithiques

L’archéologue Jean Guilaine, professeur honoraire au Collège de France, enquête sur la condition féminine au Néolithique et à l’âge du bronze. Par l’intermédiaire d’un média en particulier : celui des statuettes féminines.

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Un des objectifs de votre livre est de redonner de la valeur à la parole des archéologues, trop souvent « démonétisée », selon vous.

C’est tout à fait cela. Les archéologues sont arrivés après les autres : anthropologues, historiens des religions, mythologues, philosophes ont élaboré des théories très spéculatives sur la position sociale des femmes ainsi que sur les croyances au Néolithique, et ce dès le 19e siècle. Lorsque les archéologues ont commencé à trouver des figurines et à leur donner sens, ils se sont raccrochés à ce qui existait déjà comme modèle interprétatif. Ce faisant, ils se sont mis en position d’infériorité, devenant de simples pourvoyeurs de documents pour justifier des discours qui n’étaient pas les leurs. Non qu’il ne faille faire d’hypothèses. Par exemple, la plupart des figurines retrouvées étaient considérées comme des « déesses ». Qu’est-ce qui autorise à systématiser cette hypothèse ? Au plan de l’analyse archéologique, rien. Seul le fragment conservé de statue féminine de dimensions au-delà du réel, retrouvé dans le temple tarxien à Malte, pourrait être à la rigueur interprété comme une déité. Mais regardez la « déesse » de Çatal Höyük (Turquie), assise sur un trône formé de deux félins. De très petite taille, elle fut découverte dans une boîte à l’intérieur d’un silo à grain. Pas vraiment un sanctuaire ! Il s’agissait peut-être tout simplement d’une amulette protectrice des récoltes.

Finalement, ce que vous réclamez, c’est que les archéologues puissent parler eux-mêmes de ce qu’ils connaissent le mieux.

L’archéologie n’a pas à être minorée par rapport aux autres sciences sociales. Elle possède son propre langage et ses propres méthodes, pour passer des faits bruts à l’observation, préalable indispensable à la formulation d’hypothèses crédibles. La question que je dois me poser est celle-ci : « En tant qu’archéologue, de quoi est-ce que je dispose ? » Avec cela, j’essaie de bâtir quelque chose de solide.

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Votre livre présente un catalogue de tous les types de statuettes féminines au Néolithique: il en est des « dodues », des maigres, debout, assises, parturientes, etc. Existait-il un principe féminin ?

Ce sont les cas particuliers qui m’intéressent. Je me méfie des globalisations qui finissent par engendrer des stéréotypes qu’on a ensuite du mal à évacuer. J’aime les originalités, qui ne suivent pas la norme globale et même la transgressent. Prenons le concept de « déesse mère » et celui, dérivé et plus ample, de « grande déesse ». Que la terre ait été louée ou implorée comme matrice de la germination des plantes est une possibilité. Mais cela n’implique pas que la femme ait été déifiée comme personnalisation de la fertilité du sol, à travers son propre pouvoir procréateur, thème longtemps à la mode. La documentation archéologique est sur ce plan peu probante : très peu de femmes enceintes sont proposées par l’iconographie. Pourquoi donc la prégnance d’un tel concept développé au moins dès le 19e siècle, sinon plus tôt ? Il semble que les auteurs qui ont défendu cette idée tournant autour de la maternité, de la génitrice, de la mère vue comme élément vital (Gerhard, Briffault, James, Neuman) ont perçu le féminin comme essentiellement défini par sa fonction biologique de donneuse de vie et par l’affectivité qui en résulte. D’où cette assimilation à la terre nourricière. Mais en quoi les figurines seraient-elles la concrétisation miniature de déités en lien avec un tel culte de type « fertilité/fécondité » puisqu’elles n’expriment guère de telles notions ? Certains auteurs insistent sur l’adiposité de certaines statuettes pour soutenir la notion de fertilité mais ils oublient qu’il existe de nombreuses représentations de femmes maigres. Ce n’est pas très scientifique de mettre une partie de sa documentation de côté lorsqu’elle infirme votre opinion !