Une odeur âcre. L’usine Ajinomoto Foods, classée Seveso 2, déverse des effluves chimiques jusque dans la cour de récréation du collège Louis-Pasteur de Nesle, bourgade de la Somme de quelque 2 000 âmes tout en brique rouge. « Je ne m’y habitue pas, j’en attrape mal au cœur… Et encore, aujourd’hui il y a un grand soleil, mais souvent le ciel est gris », se désole Christine d’Isidoro, la principale. Il y a deux ans, elle a pris la tête de cet établissement situé à une heure de route d’Amiens et quelques encablures de la départementale D930 où des défilés de poids lourds vrombissent à travers des champs hérissés d’éoliennes. Un paysage de plaine également jalonné d’entrepôts dédiés à la construction de structures en béton, la gestion des déchets ou le transport routier. La campagne picarde, loin des images d’Épinal.
À mi-chemin entre la gare TER et le supermarché Auchan, la bâtisse des années 1960 qui accueille 270 élèves ne paye pas de mine. C’est un collège rural lambda installé sur une terre acquise au Rassemblement national, où cohabitent enfants d’agriculteurs et d’ouvriers. Un collège qui ne fait pas parler de lui tant la pauvreté sait s’y faire discrète. Ici, pas de délinquance ni de violence. Juste un vague sentiment d’inertie.
« Ce ne sont pas des élèves agités, mais ils ne sont pas motivés. Ils viennent à l’école parce que c’est obligatoire et pour voir leurs amis. Comme leurs parents n’ont pas fait d’études supérieures, ils ne voient pas l’intérêt de ce qu’on leur enseigne », lâche Mathieu Berthiaux, un professeur de maths au visage juvénile. « Certains arrêtent leur scolarité par refus de bouger. Les familles sont très conservatrices. Quand on leur parle de l’internat, elles nous répondent qu’on veut leur enlever leurs enfants… », relève l’enseignant qui s’apprête à rejoindre Bray-sur-Somme, village où il réalise une partie de son service. « J’ai une élève là-bas qui a l’esprit très logique mais le papa qui n’a pas fait d’études est déstabilisé par la réussite de sa fille. Du coup, elle s’autolimite », glisse-t-il en enfilant sa veste. Un manque d’entrain, voire d’ambition, confirmé par le rapport de Salomé Berlioux, présidente de l’association Chemins d’avenir, remis en 2020 à Jean-Michel Blanquer : « Orientation et égalité des chances dans la France des zones rurales et des petites villes. Restaurer la promesse républicaine ». Manque d’informations, de transports, de réseaux, mais aussi d’opportunités…