Pour annoncer de telles prétentions, il faut être sûr de son génie ! John Maynard Keynes l'est... Et lorsqu'il envisage de « révolutionner la pensée économique », comme il l'écrit à son ami George Bernard Shaw en 1935, il ne délire pas. L'économiste de Cambridge est en train de rédiger son grand livre : La Théorie générale de l'emploi et de l'intérêt, qui paraîtra l'année suivante en 1936. Et de fait, pendant un demi-siècle, la pensée dite keynésienne va régner sur toutes les économies des pays occidentaux. Pour comprendre la genèse et la portée de cette oeuvre, il faut remonter aux débuts des années 30.
Le krach boursier du Jeudi noir d'octobre 1929 a déclenché une réaction en chaîne. L'onde de choc de la grande dépression américaine a atteint l'Europe au début des années 30. Les usines ferment faute de débouchés, des millions de chômeurs sont à la rue.
Que faire ? Depuis quelques années déjà, les gouvernements allemand (1932) et américain (1933) se sont lancés dans une politique de grands travaux destinée à occuper les chômeurs et à relancer l'activité. J.M. Keynes est favorable à ces interventions (même s'il n'en est encore pas l'inspirateur). Il les compare à la construction des grandes pyramides. Qu'importe même si elles ne servent à rien, du moment qu'elles donnent du travail. Et qu'importe le dogme libéral du laisser-faire. C'est dans cet esprit qu'est pensée et écrite La Théorie générale : trouver des réponses au problème de l'heure, le chômage de masse.
L'ouvrage débute par une critique de l'école classique de l'économie. Par école classique, Keynes désigne alors Arthur C. Pigou (1877-1959) et Alfred Marshall (1842-1924), les principaux représentants de la pensée économique en Angleterre. Tenants du libre marché, ils se présentent alors comme les continuateurs des grands fondateurs de la pensée économique que sont Adam Smith, David Ricardo, John Stuart Mills ou Jean-Baptiste Say.