Après trois ans de guerre en Asie et dans le Pacifique contre les États-Unis, les forces japonaises sont repoussées sur tous les fronts. Leur défaite n’est plus qu’une question de temps. Le 25 octobre 1944, le lieutenant Seki Yukio, as de l’aviation japonaise, teste sur ordre une nouvelle méthode de combat. Aux commandes d’un avion lesté d’une bombe, il se jette avec quelques autres pilotes contre des navires de guerre. Un porte-avions est coulé, un autre endommagé. Le storytelling des services de propagande japonais va faire de cet événement un symbole : le sacrifice de soldats exemplaires peut inverser le cours de la guerre. L’ennemi, s’il est supérieur en armement, est dépeint comme moralement inférieur, sans moyens face à ceux qui n’hésitent pas à opérer le sacrifice ultime, celui de leur vie. Rétrospectivement, le sacrifice des kamikazes fut vain. Les Américains apprirent vite à se protéger des avions-suicide, et le succès de la première attaque resta l’exception. Il n’en reste pas moins que des milliers de jeunes gens, exprimant souvent leur désarroi, acceptèrent de se jeter contre l’ennemi en pilotant une bombe.
Cet ouvrage, publié alors que le soixante-dixième anniversaire des bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki approche, est une nouveauté. D’abord parce qu’il constitue la première synthèse historique en français sur les kamikazes japonais. Ensuite parce que, s’il relaie certaines thèses jusqu’ici exclusivement diffusées en anglais et en japonais, il va au-delà et propose un cadre global d’interprétation du phénomène des pilotes-suicide. Rappelons d’abord que les Japonais n’emploient pas, ou plus, le terme kamikaze, et lui préfèrent shinpû, façon littéraire de prononcer les idéogrammes formant le mot kamikaze, qui signifie « le vent des dieux ». Plus fréquemment encore est employé le terme tokkotai, forces spéciales d’attaque. En gros, du point de vue japonais, le tokkotai est un soldat qui obéit aux ordres. L’utilisation du terme kamikaze pour qualifier les bombes humaines est donc déplacée du point de vue japonais.