L'Amérique latine entre XIXe et XXe siècle

Entre 1870 et 1929, l’Amérique latine s’est engagée dans une voie de développement tournée vers l’exportation. Si ce modèle a fortement profité aux élites du continent, il était trop inégalitaire pour assurer l’essor des économies nationales.

On présente souvent la première moitié du XIXe siècle comme des décennies perdues pour l’Amérique latine, alors que la seconde moitié serait celle d’une forte croissance et d’un immense potentiel de développement. Alors même que l’on ne dispose de statistiques fiables que pour la deuxième période, on considère généralement que les taux de croissance économique furent plus élevés et la croissance plus soutenue entre 1870 et 1929 que pendant le demi-siècle qui suivit les indépendances latino-américaines, soit de 1810 à 1860. Cette accélération de la croissance s’expliquerait en grande partie par l’essor de secteurs exportateurs dynamisés par un marché mondial en pleine expansion et grand demandeur de marchandises en provenance d’Amérique latine. Cet épisode a suscité un intérêt renouvelé à la fin du XXe siècle, alors que le continent adoptait à nouveau une stratégie économique fondée sur le développement d’activités étroitement liées au marché mondial, auxquelles on assignait le rôle de locomotive de l’économie nationale. L’Amérique latine ne devrait-elle pas réunir à nouveau les ingrédients de ses succès passés ?

 

De profitables exportations…

Pendant la deuxième moitié du XIXe siècle, l’Amérique latine exportait non seulement des denrées tropicales comme le sucre, le cacao et le café, mais aussi de la viande, des grains – particulièrement du blé – ainsi que des produits d’origine minérale, traditionnels comme l’argent ou nouveaux comme le pétrole, le cuivre et l’étain, très recherchés par les pays européens, où s’amorçait la deuxième révolution industrielle. À peine sortis de la guerre de Sécession, les États-Unis s’ajoutèrent à la liste des importateurs de matières premières venues d’Amérique latine.

Les conditions d’insertion dans le marché mondial variaient selon le type de marchandise et la localisation propre à chaque pays. Dans certains cas, des phases de transformation industrielle étaient requises avant l’exportation. Dans d’autres, il fallait trouver un moyen de transport bon marché et fiable ou encore être en mesure de fournir des infrastructures technologiques, comme l’électricité, ou des travailleurs qualifiés. Dans tous les cas, une condition devint indispensable : la création d’un réseau de voies ferrées, appelé à remplacer définitivement les caravanes de mulets qui avaient assuré pendant plus de trois siècles le commerce de longue distance. Le recours au transport à dos de mulets n’était rentable que pour des biens dont le rapport prix/volume était très élevé, comme l’or ou l’argent. Il ne l’était plus du tout pour des minéraux destinés à l’industrie ou pour des grains dont le transport au-delà de 80 kilomètres devenait trop onéreux, en tout cas là où la navigation fluviale était impraticable. Les chemins de fer étaient une condition sine qua non de l’insertion dans le marché mondial.