L'art de s'orienter dans le brouillard

Prendre des décisions rationnelles quand on nage en pleine incertitude relève d’une gageure, tant pour les décideurs politiques que pour les individus. Mais face à la pandémie de covid-19, les sciences de la décision auraient pu servir de boussole.

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Confiner toute la population, fermer les écoles, instaurer le port du masque dans la rue… Tout est allé très vite. En un rien de temps, les pouvoirs publics – surpris par la pandémie de covid-19 – ont pris des décisions qui sont venues bousculer la vie de tous les jours. Sauf que ce virus était alors inconnu et son évolution imprévisible. Et c’est bien là que la tâche fut si délicate. « Que faire lorsqu’on ne sait plus ? » s’interroge le philosophe Alexis Lavis dans L’Imprévu (2021). Comment prendre des décisions rationnelles quand les scientifiques eux-mêmes avancent à tâtons sur la nature du risque encouru ? Dans les hôpitaux frappés par la crise sanitaire, la stupéfaction a rapidement cédé le pas à l’urgence et à de nombreux dilemmes éthiques (encadré). Tri des patients, arrêt des traitements, interruption de grossesse pour raison médicale, chirurgie délabrante, greffe d’organes, euthanasie… La médecine est parfois confrontée à des choix graves et irréversibles qui doivent s’accompagner d’une délibération, malgré la nécessité d’agir vite voire de sauver des vies. « Le questionnement éthique survient lorsque la décision à prendre ne s’impose plus par son évidence. En philosophie, nous disons qu’elle est “contingente”. En situation critique, un fond d’angoisse se fait sentir (…). Comment être sûr de n’avoir rien à regretter ? » souligne Pierre Le Coz, professeur de philosophie à l’université d’Aix-Marseille 1.