L'aventure de la psychothérapie institutionnelle

La psychothérapie institutionnelle a révolutionné le soin psychiatrique dans l’après-guerre et a changé le regard sur la folie. Pour ce mouvement, la folie repose sur une aliénation à la fois mentale et sociale.

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Paris, 1940. L’armée hitlérienne est aux portes de la ville. Il faut évacuer les asiles : quel sort le IIIe Reich pourrait-il réserver aux malades ? Alors qu’ils étaient, pour certains, alités ou nourris par sonde depuis des années, ils retrouvent leurs capacités motrices et nutritionnelles sur la route de l’exode, marchent en journée et se rassemblent le soir pour manger.

Un peu plus au sud, en Bourgogne, l’hôpital de La Charité-sur-Loire est bombardé. Des malades s’enfuient. Louis Le Guillant, le psychiatre qui dirige l’établissement, les retrouve quelques années plus tard et se rend compte qu’une partie d’entre eux s’est, dans le contexte de guerre, très bien réadaptée à la vie extérieure.

Ces phénomènes interrogent les cliniciens. La guerre comme déflagration dans les modes de vie provoque une modification des symptômes des malades : le contexte social influe donc sur la pathologie. Agir sur le cadre de vie, la structure et l’ambiance de l’hôpital pourrait-il avoir des effets thérapeutiques ? Ce sera le pari de la psychothérapie institutionnelle, qui repose sur une nouvelle conception de la folie : elle n’est pas seulement pathologique et mentale, elle a également une origine sociale.

À Saint-Alban, les malades travaillent dans les champs

Cette même année 1940, François Tosquelles, un psychiatre catalan fuyant l’Espagne de Franco, trouve refuge à Saint-Alban. Cette petite commune de Lozère est perchée à 1 000 mètres d’altitude et enneigée six mois de l’année. L’hôpital psychiatrique est dirigé par le médecin Paul Balvet, un catholique de gauche qui a déjà commencé à humaniser la structure, en intégrant notamment des ateliers d’ergothérapie.

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La nourriture manque, F. Tosquelles met en place un système d’approvisionnement exceptionnel. À la guerre comme à la guerre : les malades sortent de l’établissement pour travailler aux côtés du personnel. Ils montent un potager (choux, poireaux, oignons), apprennent à reconnaître les champignons comestibles, travaillent dans les fermes environnantes en échange de nourriture, se lancent même dans le marché noir. Ces choix organisationnels sont d’abord dictés par la famine et la guerre. Mais pas seulement : pour F. Tosquelles, donner des responsabilités aux malades peut les soigner. Il s’inspire d’Eugen Bleuler (1857-1939), psychiatre suisse qui estime que seule une vie collective riche peut fournir la base d’une vraie thérapie. E. Bleuler juge crucial que les malades aient des responsabilités qui les maintiennent en mouvement, suscitent l’échange avec autrui, et leur permettent d’exister en tant que sujets.

La deuxième source d’inspiration de F. Tosquelles sera le psychanalyste Jacques Lacan (1901-1981). Dans sa thèse, Lacan développe l’idée que le discours du psychotique, en apparence destructuré, a un sens : il faut encourager la parole, et l’écouter. F. Tosquelles juge donc indispensable de doter l’hôpital de lieux de rencontre. L’ancienne buanderie se transforme en salle commune à destination du personnel et des patients ; s’y installent une buvette tenue par les malades, des expositions et conférences. F. Tosquelles et P. Balvet forment le personnel de l’hôpital (des paysans du coin, pour l’essentiel) afin que chacun, menuisier ou homme d’entretien, puisse accueillir la parole des malades et avoir un rôle thérapeutique.