Introduction

Chaque trouble mental est un récit

Des centaines de troubles mentaux sont décrits, souvent graves, parfois anecdotiques. Variables d’une époque et d’une culture à l’autre, ils suscitent des réponses thérapeutiques où le meilleur côtoie le pire.

Chaque trouble mental est un récit - Les Grands Dossiers des sciences Humaines n°76

© Aisha Zeijpveld

Depuis trois quarts de siècle que fourmillent les enquêtes épidémiologiques, les chiffres sont constants : la plupart d’entre nous feraient au moins une fois au cours de notre existence l’expérience d’un trouble mental. Une recherche plus récente, menée dans 29 pays, estime qu’un humain sur deux souffre, a souffert ou souffrira d’un trouble ! À commencer par la phobie, la dépression, l’abus d’alcool ou le stress posttraumatique 1.

Troubles à gogo

Vu l’état apparent de notre espèce, les plus cyniques considéreront peut-être que 25 ou même 50 %, c’est bien peu : il n’empêche, la fourchette n’est pas anodine… Elle ne nous dit pourtant pas grand-chose, tant les troubles mentaux sont variés dans leurs manifestations, leur intensité et leur gravité. La dépression, qui toucherait 5 % des adultes à un moment ou à un autre, est très différente de la schizophrénie, qui en affecterait 0,3 %, et pourtant, on parle bien de « troubles mentaux » pour les deux cas de figure. Avoir peur des hauteurs, se retrouver paralysé par la timidité, exploser de colère sans crier gare, se sentir tout-puissant par le viol, consacrer sa vie à gagner du pouvoir en piétinant ses rivaux, consommer toujours plus d’alcool en roulant toujours plus vite, se masturber en pensant à des enfants, refuser de prendre un ascenseur, ne pas parvenir à surmonter un deuil, jouer compulsivement aux jeux de grattage ou attaquer des innocents dans la rue à coups de marteau pour gagner le paradis, tout cela, c’est du « trouble mental ».

Bon nombre donnent lieu à des querelles parfois byzantines pour déterminer leur validité scientifique : syndrome de Diogène (accumulation de vieilleries et détritus), syndrome de Jérusalem (crise mystique contractée dans la Ville sainte), syndrome de Paris (affectant certains Japonais déçus par la capitale française jusqu’au traumatisme), syndrome de Stendhal (syncope devant la magnificence d’une œuvre d’art), addiction sexuelle, perversion narcissique, sans oublier les paraphilies les plus sordides ou les plus exotiques (si vous rêvez assidûment de câliner E.T. l’extraterrestre, félicitations, vous êtes exobiophile)… En cherchant bien, on déniche ainsi des centaines de troubles dont la majorité des professionnels de santé mentale ne croiseront jamais un spécimen dans toute leur carrière. À ce régime, il apparaît miraculeux de se sentir sain d’esprit (et ça cache sans doute quelque chose…). Parallèlement, bien sûr, pullulent des milliers de psychothérapies idoines à l’intitulé grandiose dont 99 % ne présentent comme gage d’efficacité que le seul charisme de leur concepteur.