L'économie des institutions

Si les institutions n'existaient pas, il faudrait les inventer ! Car en l'absence de règles, de hiérarchies, de conventions, les économies de marché ne pourraient tout simplement pas fonctionner...

Il est peu d'économistes à contester l'importance des institutions. A commencer parce que le marché lui-même en est une. Si l'on définit une institution économique comme un ensemble de règles qui encadrent les transactions, il va de soi qu'une économie de marché repose sur un soubassement institutionnel complexe. Le respect de la propriété privée ou la bonne exécution des contrats supposent par exemple l'existence de règles de droit et d'un Etat pour les faire respecter.

Pour les économistes néoclassiques ? le courant dominant en économie ?, le rôle des institutions s'est longtemps arrêté à ce point-là. Une fois posées les règles du jeu, les choses sérieuses pouvaient commencer. On entrait alors dans un monde où la production et la répartition des richesses étaient gouvernées par le seul mécanisme du marché. Les prix offraient aux agents économiques les informations nécessaires pour prendre leurs décisions. Et à condition que ces prix puissent fluctuer librement, ces choix étaient harmonisés et l'équilibre s'établissait sur tous les marchés de l'économie.

Ce monde-là existe toujours, dans les ouvrages consacrés à la théorie de l'équilibre général concurrentiel. Bien qu'unanimement considéré comme irréaliste, ce modèle traduit pour les économistes néoclassiques le fonctionnement idéal du marché, un horizon dont on gagne à se rapprocher, tout en sachant qu'on ne l'atteindra jamais.

Par-delà son hétérogénéité, l'économie institutionnaliste s'est toujours démarquée d'une telle représentation de l'économie, que ce soit pour la combattre ou simplement pour la compléter.

publicité

Il est convenu d'attribuer la fondation de l'institutionnalisme, au tournant du XIXe siècle, aux économistes américains Thorstein Veblen et John R. Commons. Ceux-ci s'inscrivent néanmoins à la suite une tradition empiriste qui dès le début du XIXe siècle s'est opposée à la démarche hypothético-déductive de l'économie politique ricardienne (David Ricardo). J.-R. Commons s'en prend quant à lui à l'école néoclassique. Plutôt que de l'abstraction d'un marché concurrentiel, il préfère partir des institutions concrètes du capitalisme américain ? les grandes entreprises, les travailleurs organisés, les institutions juridiques et l'Etat. Il étudie notamment l'influence du régime juridique sur la répartition du revenu, analysant la manière dont il structure les transactions entre employeurs et salariés et donc leur pouvoir de négociation respectif.

Du vieil institutionnalisme?

T. Veblen s'attaque de son côté à la théorie néoclassique du comportement. Pour celle-ci, les consommateurs visent une satisfaction maximale à moindre coût, de sorte que lorsque le prix d'un bien augmente, la demande diminue. Aux hypothèses de rationalité, T. Veblen préfère l'observation caustique de ses contemporains. Ceux-ci, davantage qu'à leur bien-être, semblent s'intéresser à leur image, à établir leur position sociale au moyen des biens qu'ils arborent. D'où la « théorie de la consommation ostentatoire », dont découle le fameux « effet Veblen » : plus un produit est cher, plus les consommateurs veulent l'acheter (car plus il est « chic » de le posséder). Le comportement individuel est ainsi modelé par les institutions, entendues comme les « habitudes de pensée qui prévalent à un moment donné ».

Pour J.-R. Commons et T. Veblen, les mécanismes économiques et les comportements individuels ne sont donc pas invariables, mais dépendent de l'environnement institutionnel dans lequel ils s'inscrivent. On comprend que pour eux la question de la transformation des institutions apparaisse cruciale. J.-R. Commons en propose une lecture politique : le changement institutionnel se joue dans les conflits qui entourent la modification et l'interprétation des lois.

Bien que la tradition institutionnaliste ait fait parler d'elle par la suite, sous la plume d'auteurs comme John Kenneth Galbraith aux Etats-Unis ou Raúl Prebisch en Amérique latine, c'est véritablement à partir des années 1970 qu'elle s'est imposée comme une grille de lecture incontournable. A la différence des positions de J.-R. Commons ou T. Veblen, qui se situaient en rupture avec la théorie orthodoxe, la new institutional economics (NIE) est cependant pour l'essentiel un développement du programme de recherche néoclassique. Si pour la théorie de l'équilibre général, la coordination des décisions économiques est effectuée par le seul mécanisme des prix, pour la NIE, cela ne suffit pas.