45 000 « aliénés » sont morts de faim dans les hôpitaux psychiatriques français sous l’occupation allemande. Non pas exterminés, à l’instar des malades mentaux et handicapés allemands jugés indignes de vivre par un régime qui a érigé le meurtre des « déchets sociaux » en impératif pour la survie de la race. Mais victimes de leur isolement social qui, dans un contexte de crise alimentaire aiguë, les a rendus particulièrement vulnérables au même titre que les vieillards des hospices, eux aussi morts en masse entre 1940 et 1945. Souvent issus de familles modestes, avec lesquelles ils ont parfois perdu tout lien, ils ont cependant pu compter sur la mobilisation des médecins-chefs. Faisant valoir que la société a le devoir impérieux de protéger ses membres les plus faibles quelles que soient les circonstances, ceux-ci ont obtenu, de haute lutte, que leur soient alloués des suppléments alimentaires.
Une nouvelle stratégie
Cette mobilisation ne s’achève pas à la fin du conflit. L’expérience tragique de la guerre a en effet conduit nombre de psychiatres à prendre conscience de la faillite d’un mode de gestion de la maladie mentale qui consiste, au motif qu’il est incapable de travailler ou présente des comportements violents ou dérangeants, à retrancher le fou de la communauté parfois jusqu’à la fin de ses jours. Le programme en 24 points adopté lors des Journées nationales de psychiatrie, tenues à Paris en mars 1945, de même que le catalogue de revendications élaboré par le Syndicat des médecins des hôpitaux psychiatriques, fondé en juillet de la même année, témoignent d’une volonté largement partagée de reconfigurer l’assistance psychiatrique sur des bases nouvelles. Dans le climat euphorique de la Libération, tout semble en effet possible. Et si finalement la réforme de la loi du 30 juin 1838, qui organise l’assistance psychiatrique dans un cadre asilaire, est une nouvelle fois ajournée, la multiplication des hospitalisations libres et la diminution de la durée des séjours hospitaliers traduisent, dans les pratiques, la remise en cause de la valeur thérapeutique de l’enfermement. En outre, dès la seconde moitié des années 1940, déployant un dynamisme et une inventivité sans faille, quelques médecins-chefs désireux de traduire leurs idées en actes entreprennent, tout en plébiscitant le recours aux thérapeutiques biologiques (cure de Sakel, électrochocs…) voire à la psychochirurgie, de promouvoir une nouvelle stratégie thérapeutique. Avant que s’impose le terme de « psychothérapie institutionnelle », forgé en 1952, celle-ci est désignée sous des vocables multiples : psychothérapie sociale, psychothérapie collective ou encore sociothérapie.