Il est désormais bien établi que les femmes migrantes furent longtemps oubliées de l'histoire. La migration ne pouvait se conjuguer dans les représentations sociales qu'au masculin (recensement des populations immigrées ne ventilant pas systématiquement les données par sexe, politiques publiques orientées vers les hommes migrants, etc.). Les femmes immigrées n'étaient de fait qu'une minorité dans la minorité.
Les filles naissent après les garçons
Longtemps aussi, les femmes maghrébines ou d'origine maghrébine n'ont été envisagées que dans l'espace privé. Socialement et sociologiquement « invisibles », elles ont été victimes de représentations stéréotypées auxquelles n'échappaient que quelques rares recherches de terrain.
Les filles naissent après les garçons : telle est la leçon que l'on pourrait tirer de l'observation de l'invisibilité désormais déclinante des filles. Revenons sur les faits. 1981 : première émeute urbaine aux Minguettes dans la banlieue de Lyon 1. 1983-1984 : filles et garçons battent le pavé dans ce qui restera comme la marche des beurs (ou la marche de l'égalité), terme inventé pour désigner les jeunes issus de l'immigration maghrébine (le terme « beurette » n'apparaîtra que plus tard). 1986-1987 : la manifestation et les débats polémiques à propos du Code de la nationalité ont révélé à l'opinion et à la classe politique françaises l'ampleur d'un phénomène social dans lequel certains voient désormais un défi à relever et d'autres une menace à conjurer. Ces jeunes, « issus de l'immigration », considérés comme des délinquants et rejetés dans les cités ghettos, font la une de l'actualité en imposant leur propre réaction aux campagnes racistes. Moins silencieux et moins soumis que leurs parents, ils se donnent les moyens d'agir collectivement en se fixant un objectif audacieux : ne pas rester dans l'ombre et le mépris comme la première génération, mais acquérir un espace comme citoyens français à part entière.
Même si des images d'époque montrent des filles, on gardera le souvenir d'un mouvement masculin, d'autant que ce sursaut surprend après la médiatisation des violences perpétrées dans les quartiers, des faits divers ayant contribué à la stigmatisation de ces jeunes garçons. Peut-être a-t-on voulu voir un mouvement masculin dans un contexte où ce sont les garçons qui sont supposés poser problème, montrés du doigt comme fauteurs de trouble. Les femmes et les jeunes filles ayant participé à ce mouvement, un peu laissées pour compte du battage médiatique, se sont, elles, engagées dans le mouvement associatif. Tout au long des années 1980, insécurité, politisation de la question de l'immigration, crise dans les banlieues, débats sur le Code de la nationalité et croissance du chômage sont associés à la présence maghrébine. Or ces thèmes se déclinent mieux au masculin. Dans les années 1990, les émeutes reprennent, les quartiers sont toujours stigmatisés par les médias et perçus au masculin. C'est à partir des années 2000 que l'on assiste à la médiatisation croissante des violences faites aux femmes dans les quartiers. En février-mars 2003, la marche des femmes contre les ghettos et pour l'égalité donne naissance au mouvement Ni putes ni soumises (mouvement « mixte et populaire » comme il se présente lui-même). Il aura fallu attendre vingt ans pour qu'une marche des femmes issues des quartiers ou des cités mette enfin les filles sous le feu des projecteurs. Tout se passe comme si les femmes, « en marche », revendiquant l'égalité, naissaient après coup.
Quand le sexe prime sur l'origine
Comment ne pas voir dans cette apparition tardive des filles d'origine maghrébine dans les médias, et aussi dans les recherches, le pendant d'un biais qui a voulu qu'on accorde une place prépondérante aux garçons comparativement à leurs sœurs au sein des familles ? Les recherches relatives aux enfants « issus de l'immigration » ont remodelé symboliquement les familles. En questionnant d'abord la place des frères et quelques années plus tard celle des sœurs, elles ont souvent postulé que toutes les familles étaient composées de la même façon : les aînés, uniquement des garçons, les sœurs, toujours présentées comme des cadettes.