Depuis les années 1990, les recherches sur l’histoire de l’enfance et de la famille se sont multipliées, issues de démographes, d’historiens ou d’anthropologues, sur les enfants de l’aristocratie ou ceux de la rue, au travail des champs ou en apprentissage, martyrs ou abandonnés, donnant naissance à de grandes synthèses internationales 1.
Ainsi, s’appuyant sur des sources nouvelles (en particulier iconographiques et archéologiques), Danièle Alexandre-Bidon et Didier Lett ont montré que l’amour maternel et la tendresse des pères existaient dès le Moyen-Âge 2. Les représentations de l’enfant de l’époque étaient certes modelées par celle des clercs, qui voyaient le jeune enfant soit comme un être innocent et pur à l’image de Jésus, soit comme « puant » et vicieux de nature, à cause du péché originel dont il fallait châtier les méfaits. À une époque où quatre enfants sur dix mouraient avant l’âge de 10 ans, le baptême se pratiquait dès la naissance, tant était grande la préoccupation des parents de ne pas voir mourir leur enfant non baptisé…
Un nouveau sentiment de l’enfance ?
En fait, tous ces travaux ont été suscités par un ouvrage pionnier devenu un classique : L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime. Paru en 1960, ce livre avançait des hypothèses qui n’ont cessé depuis de faire débat. L’auteur, Philippe Ariès, démographe et historien des mentalités, soutenait qu’il n’existait pas de « sentiment de l’enfance » avant le tournant malthusien du 19e siècle. Dès lors que l’enfant pouvait vivre sans les soins de la mère ou de la nourrice, on le considérait comme un petit adulte, apte à travailler dès que possible dans la communauté villageoise ou rurale. Le « mignotage » dont bénéficiait le tout-petit consistait à le voir comme « une petite chose drôle » dont les adultes s’amusaient comme « devant un animal ou un petit singe impudique ». Selon P. Ariès, c’est à la fin du 18e siècle qu’émerge une pédagogie propre à l’âge tendre : avec Jean-Jacques Rousseau, le « petit homme » devient un « petit d’homme » avec ses spécificités. C’est à cette époque que naît la coutume d’habiller les très jeunes enfants (garçons comme filles) en robe, preuve pour P. Ariès de la naissance d’une identité enfantine.