Ethnologue et historienne de la famille, auteure de nombreux ouvrages, Martine Segalen a donc décidé de prendre la question au pied de la lettre. Se demander À qui appartiennent les enfants ? est le moyen pour elle de rappeler les mutations profondes intervenues dans le statut des enfants au fil du temps, mais aussi d’interroger les transformations de la famille dans les sociétés occidentales contemporaines.
Au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime, les choses avaient le mérite d’être claires : conçu comme don de Dieu, l’enfant appartient à sa famille. Dans les sociétés paysannes d’Europe, l’absence d’enfant est une catastrophe ; sans lui, pas de bras pour travailler à la ferme, personne pour s’occuper des parents vieillissants, pas de continuité familiale. Très vite considéré comme un adulte en devenir, il faut le dresser et on l’utilise pour les tâches quotidiennes dès l’âge de 4 ans. Dans un monde « où l’affectif n’est pas encore dominant », les principes éducatifs feraient hérisser le poil de nos contemporains. « Tu as faim ? Mange ton poing ! », s’entend-il dire. Plus souvent que la force ou la menace, la moquerie est utilisée comme principe éducatif pour confondre celui qui n’est pas encore grand : « Mieux vaut laisser l’enfant morveux que lui arracher le nez. » Pleinement propriétaires de leurs enfants, les parents organisent au mieux de leurs intérêts économiques leurs stratégies patrimoniales : trop nombreux, ils sont placés en apprentissage ; orphelin, on l’adoptera pour pallier un manque de bras dans la maisonnée.