L'enfant en multipropriété

À qui appartiennent les enfants ?. Martine Segalen, Tallandier, 2010, 207 p., 15€
Pendant longtemps, l’enfant occidental a été soumis à la toute-puissance de ses parents. Mais l’emprise croissante des États et la diversité des nouveaux modèles familiaux ont radicalement changé le statut des enfants.
En 2007, l’affaire de l’Arche de Zoé défraie la chronique. Des membres de cette ONG veulent envoyer en France une centaine d’enfants du Darfour qui souffrent de la guerre et de la malnutrition pour les faire adopter. Accusés par le gouvernement tchadien de tentative d’enlèvement de mineurs, ils sont arrêtés et condamnés. Au-delà des virulentes polémiques qu’a suscitées cette affaire, ce sont en fait deux conceptions de la filiation et de l’orphelin qui se sont affrontées, nous explique Martine Segalen. En Afrique, les enfants appartiennent au lignage : quand bien même leurs parents biologiques disparaissent, ils n’en sont pas moins considérés comme membres de toute une parentèle (oncles, tantes, grands-parents). Ceux qui se voyaient comme des bienfaiteurs occidentaux ont alors été considérés comme des « voleurs d’enfants ». Une polémique similaire est d’ailleurs née à la suite du séisme d’Haïti… De telles affaires illustrent bien les manières différentes selon les cultures de penser la famille et le statut de l’enfant : « D’un côté, une filiation élargie au lignage, de l’autre, restreinte aux parents biologiques, deux façons contraires de poser la question de la propriété des enfants. »

 

Ethnologue et historienne de la famille, auteure de nombreux ouvrages, Martine Segalen a donc décidé de prendre la question au pied de la lettre. Se demander À qui appartiennent les enfants ? est le moyen pour elle de rappeler les mutations profondes intervenues dans le statut des enfants au fil du temps, mais aussi d’interroger les transformations de la famille dans les sociétés occidentales contemporaines.

Au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime, les choses avaient le mérite d’être claires : conçu comme don de Dieu, l’enfant appartient à sa famille. Dans les sociétés paysannes d’Europe, l’absence d’enfant est une catastrophe ; sans lui, pas de bras pour travailler à la ferme, personne pour s’occuper des parents vieillissants, pas de continuité familiale. Très vite considéré comme un adulte en devenir, il faut le dresser et on l’utilise pour les tâches quotidiennes dès l’âge de 4 ans. Dans un monde « où l’affectif n’est pas encore dominant », les principes éducatifs feraient hérisser le poil de nos contemporains. « Tu as faim ? Mange ton poing ! », s’entend-il dire. Plus souvent que la force ou la menace, la moquerie est utilisée comme principe éducatif pour confondre celui qui n’est pas encore grand : « Mieux vaut laisser l’enfant morveux que lui arracher le nez. » Pleinement propriétaires de leurs enfants, les parents organisent au mieux de leurs intérêts économiques leurs stratégies patrimoniales : trop nombreux, ils sont placés en apprentissage ; orphelin, on l’adoptera pour pallier un manque de bras dans la maisonnée.