« Chacun reconnaîtra [...] cette présence immédiate et brûlante du regard d'autrui qui l'a souvent rempli de honte. » Dans L'Etre et le Néant, Jean-Paul Sartre consacre de longues pages au trouble que provoque chez tout être humain l'observation attentive par ses semblables. L'anxiété sociale est en effet une manifestation universelle, renvoyant aux sensations d'appréhension, de conscience aiguë et douloureuse de soi et de détresse émotionnelle ressenties dans les situations sociales actuelles ou anticipées. Elle s'accompagne en général de comportements d'inhibition ou d'évitement, et d'une altération, transitoire ou durable, de l'estime de soi.
L'anxiété sociale peut revêtir différents masques, d'intensité et de gravité variables. Environ 30 % d'entre nous ressentent un trac intense à l'idée de devoir parler devant un public et évitent systématiquement cette situation. Parmi les adultes occidentaux, 40 % se déclarent timides, c'est-à-dire adoptent des attitudes de réserve et d'inhibition face à ce qui est nouveau ou inconnu (personnes ou activités), et attendent en général que l'on vienne vers eux dans les situations sociales. Mais ces deux formes d'anxiété sociale ne peuvent être considérées comme pathologiques, du fait de leur fréquence bien sûr, mais aussi parce qu'elles n'empêchent pas l'insertion relationnelle du sujet sur le long terme : bien que devant renoncer à un certain nombre de comportements, les « traqueurs » et les timides n'en sont pas moins capables de trouver des partenaires sentimentaux, de suivre des études, d'exercer un emploi, d'avoir des amis, etc.
Du trait de personnalité à la pathologie
Ce n'est pas le cas de la phobie sociale, qui altère sévèrement la qualité de vie. Ce trouble répandu (2 à 4 % de la population adulte) se caractérise par une angoisse extrême dans les situations où l'on se trouve exposé au regard ou au jugement d'autrui : devoir échanger quelques mots avec un voisin ou un commerçant, être regardé alors que l'on marche ou que l'on mange, demander son chemin dans la rue... la liste des instants pouvant déclencher de véritables attaques de panique est quasi infinie, même face à des personnes fréquentées quotidiennement. Les patients souffrant de phobie sociale ressentent une crainte constante de manifester des signes d'émotivité, et d'être alors jugés négativement, humiliés ou déconsidérés ; à la différence des timides, connaître leurs interlocuteurs ne diminue pas leur angoisse, car ils craignent, au fur et à mesure que l'on va mieux les connaître, de décevoir et de révéler leurs supposées faiblesses. Ils tendent à éviter systématiquement les situations qu'ils estiment à risque : leur maladie les empêche souvent de faire des études (impossibilité d'assister aux cours ou de passer les examens), de trouver un métier (incapacité d'affronter un entretien d'embauche ou d'évaluation), de l'exercer (difficultés extrêmes à participer aux réunions), d'établir des relations sentimentales ou amicales (crainte du jugement). La plupart de ces patients présentent également des troubles dépressifs : privés des indispensables nourritures relationnelles, ils ne vivent pas heureux à l'écart du monde et souffrent de leur isolement, comme le notait l'écrivain suisse Amiel : « Je ne suis capable ni de solitude, ni de société. » Un certain nombre d'entre eux aura aussi recours à l'alcool, soit avant les confrontations sociales pour tenter de limiter la peur, soit après pour essayer de noyer les sentiments de honte.