Le sens commun réduit souvent la manie aux « petites » manies, tandis que la psychiatrie l’associe à la dépression, notamment dans la psychose maniaco-dépressive. Pour la psychanalyse, la mélancolie serait le versant « intelligent » d’un symptôme dont la manie constituerait la version « simpliste, voire triviale ». Se référant à Sigmund Freud, Paul-Laurent Assoun nous explique que la manie n’est pas le contraire de la mélancolie, mais son destin majeur, sa détermination la plus frappante. « Le trajet de la mélancolie à la manie, en sa logique inconsciente, est celui qui va de la défaite du moi face à l’objet au triomphe du moi sur l’objet. » Ce qui donne à la manie un aspect d’« état de grâce catastrophique ».
Cet essai comporte deux volets. Il dresse d’abord un examen clinique de la manie permettant de situer les différents états maniaques (toxicomanie, kleptomanie, boulimie…) ainsi que ses retombées collectives. Ensuite, il se consacre à l’étude d’un cas, celui du facteur Cheval. Personnage énigmatique, Joseph-Ferdinand Cheval (1836-1924) mit trente ans à construire son Palais idéal, à Hauterives, dans la Drôme, jour après jour, de ses propres mains. Unique en son genre, ce palais baroque réputé chef-d’œuvre de l’art populaire fut, pour le facteur architecte, un « arc de triomphe » sur la mort. On peut le mettre en parallèle, indique l’auteur, avec la folie constructrice de Louis II de Bavière. Entre ces deux figures, séparées par une barrière de classe, « pourrait bien œuvrer une affinité de structure inconsciente ». « Je ne peux vivre sans construire », constataient-ils tous deux. Ne s’agit-il pas ici d’une fuite en avant, sorte d’ivresse libératrice qui, en faisant reculer toutes les limites, sauve les deux hommes d’une douleur d’exister ?